Le Bourgmestre, dernier membre en vie de l’administration des Premières Familles, se sentait en sécurité. Et quoi de plus normal que de se sentir en sécurité lorsque l’on se trouve dans un bunker, possédant des murs de plusieurs mètres d’épaisseur, enfoui dans les profondeurs d’une montagne, et protégé par plusieurs dizaines de mètres de roche et par une garnison de plus d’une centaine d’hommes armés des meilleures lames de Néosalem.

Ou, pour être plus précis, de ce qu’avait été Néosalem avant d’être balayée par les Dernières Familles. Balayée était le mot, car la totalité des défenseurs de la ville et de ses habitants avaient été vaincus en moins de dix minutes, et ce malgré leur nombre de plusieurs centaines de milliers. Alors, le Bourgmestre avait eu une révélation.

Les Dernières Familles étaient largement trop puissantes pour que de simples hommes puisse leur faire face, fussent-ils aidés par les machines les plus puissantes qui soient. Non, il ne pourrait vaincre que par le surnaturel. Nathaniel l’avait compris. Il avait retourné toutes les Limbes pour mettre la main sur les âmes, et une fois qu’il les avait trouvées, il ne les avait plus lâchées. Le Bourgmestre, lui, s’était appuyé sur autre chose que la nouvelle génération des âmes.

L’Histoire.

Pour être plus précis, sur les récits qui racontaient l’épopée de la génération précédente des âmes. Un groupe de huit journaux, rédigés six ou sept millénaires plus tôt, et traduits dans une multitude de langues au fil des ans. Le Bourgmestre s’était attaché à en créer des copies, et à les garder auprès de lui. Il savait que les traductions étaient parfois approximatives, alors il n’avait lu que la version la plus ancienne qu’il avait été capable de retrouver : celle rédigée en ancien gaélique, un langage qui avait court aux environs du neuvième siècle avant Jésus-Christ, avant même l’arrivée des Celtes en Gaule.

La dernière génération des Âmes s’était regroupée au Promontoire, comme le voulait la prophétie. Mais ils s’étaient trouvés totalement incapables de vaincre les Dernières Familles. Dans le journal que le Bourgmestre était en train de consulter, ce passage était très sobrement relaté :

« Devant l’aube de la nuit, au plus loin de l’étendue mouvante, les Héros furent corrompus par la rancœur qui avait dévoré leurs âmes. »

Incapables de compter sur les Âmes, les Premières Familles s’étaient organisées pour résister. A Saëgho, future Salem, elles avaient fondé un système qui devait leur permettre de survivre : l’Empire. L’Empire avait rassemblé des armées, il avait récupéré les Âmes survivantes, et face à la tourmente, il avait combattu.

Et il avait vaincu.

Pas par la force des âmes, ni celle d’un quelconque Elu.

Grâce à une machine. Un système artificiel, extraordinairement complexe pour son époque. Les Dernières Familles, prises par surprise, avaient été vaincues. Une machine qu’elles n’étaient pas capables de détruire. Une machine qu’ils avaient nommé Atzghadell Neild, ou, en Français, La repousseuse de Nuit.

Et cette machine, le Bourgmestre l’avait avec lui dans son bunker. Posée sur son bureau. Il lui suffisait de peu pour l’activer et vaincre toute entité des Dernières Familles à des kilomètres à la ronde : appuyer sur un bouton. Mais cette machine était une reconstitution imparfaite créée à partir de plans découvert sur des parchemins antiques qui étaient déjà des copies imparfaites eux-mêmes. Il n’était pas sûr qu’elle fonctionne, et si c’était tout de même le cas, l’Atzghadell Neild ne fonctionnerait qu’une fois.

Il était essentiel de le faire au bon endroit, et au bon moment.

Le Bourgmestre posa son journal multimillénaire à côté de son arme secrète, avant de prendre une tasse de thé et de la porter à ses lèvres. Il savait que ses chances de réussite sans aide surnaturelle étaient infimes, mais il se devait d’essayer.

Et le moment n’était pas encore venu.

-Chapitre écrit par Maxime G.