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Des histoires de Seuls
De Malike — 18 novembre 2017 à 13h23
Portsalem, chapitre I, partie 5 : Interlude (1/2)
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Sherlock soufflait dans ses mains, pétrifié par la température. L'agitation passée, son corps était plus fourbu que jamais sous les assauts du vent. Il observa les alentours, ses yeux acérés plissés sous les rafales qui les embuaient. L'odeur de la calèche brûlée lui parvenait en un mélange étrange avec celle mentholée du froid. 

Les chariots défilaient dans son champ de vision, qu'il passa à la hâte. Il restait sur le sol des corps de créatures et de gardes enlacés, éparpillés dans la neige. Cette vision lui serrait le coeur, mais il devait s'accrocher.

Il s'approcha d'un groupe de soldats, parmi lesquels Jemaël, leur chef. Il les interpella :

 - Excusez-moi, messieurs, j'aimerais savoir s'il vous était possible de vous charger des corps. Récupérer leurs armes, celles des créatures aussi, et de les brûler ? 

Les voyant sourciller, circonspects, il ajouta :

 - On ne sait pas encore d'où provient ce comportement étrange, j'aimerais prévenir les risques de contamination...

Les soldats échangèrent des regards. Ils semblaient approuver l'initiative. Jemaël prit la parole :

 - C'est une requête raisonnable, nous nous en chargeons. Souhaitez-vous que je vous fasse un rapport quand nous en aurons terminé ?

 - Ce n'est pas de refus.

 - Argos, Heraklès, dispersez vos groupes pour vous occuper des brasiers et des fouilles des créatures. Soyez prudents. Nous nous chargeons de nos camarades tombés, mon groupe et moi.

Il vit les gardes se disperser avec satisfaction avant de reprendre l'examen des alentours. Il vit du coin de l'oeil Lathos grimper la pente dont il était revenu plus tôt. Étrange... Il ne l'avait pas vu s'écarter du groupe aussi vite... Il reporta son attention au peu de gardes non assignés aux corps qui s'occupaient des chevaux et des véhicules, à Clairon, assis sur un rocher, à la calèche brûlée...

Il en fit le tour pour l'inspecter plus avant. Des morceaux fumants en bouchaient l'entrée, et il marchait en évitant précautionneusement les éclats de verre. Sherlock se mit sur la pointe des pieds et avança sa lanterne pour voir à travers ce qu'il restait de la vitre. La banquette était noircie par le feu, et l'autre lanterne qu'avait allumé Clairon plus tôt s'était brisée sur le sol, sans doute bousculée dans leur sortie ou pendant la lutte. Le vent ou la neige devait avoir calmé l'incendie. Il perçut la silhouette de la créature qui se découpait dans l'obscurité, plus loin. L'odeur, les tripes qui se répandaient comme la mousse d'un fauteuil éventré, ou le bras arraché, le firent suffoquer. Sherlock recula, songeant que, celle-là, il était possible que les gardes ne la remarquent pas.

Sharlink, appuyée à son katana, reniflait, l'air songeur, quand Sherlock la rejoignit. Il faisait nuit et froid, pourtant la silhouette de la jeune femme, qui se découpait à la silhouette de la lune, brillante comme la lame de son arme, ne frémissait pas le moins du monde. Ses manières violentes et son port imposant avaient gardé Sherlock à l'écart d'elle jusque là, mais il avait entendu qu'elle s'était montré efficace au cours de l'assaut, et c'était une compétence qu'il devait exploiter.

 - Sharlink, c'est ça ? s'enquit-il.

 - Hm ? grommela-t-elle.

 - Voudriez-vous bien mettre le feu à la calèche une nouvelle fois, s'il vous plait ? J'aimerais qu'il n'en reste rien du tout. La créature qui est dedans...

Elle le coupa d'un geste.

 - J'm'en chargerai. Traîne pas dans mes pattes.

 - Très bien, répliqua Sherlock. Je vous... te laisse ça, ajouta-t-il en lui remettant une poignée d'allumettes et la lampe à pétrole. 

Tandis qu'il s'éloignait, un sourire carnassier vint à la guerrière. Le souvenir du sang chaud qui l'avait recouverte était encore frais.

 

Les autres se dispersaient, tous un but en tête, à voir leurs mouvements et marches précises. Neva, les mains sur les hanches, jaugeait les alentours, passant vite sur Sherlock, les gardes auxquels il parlait, Sharlink et Léna. Elle aperçut enfin celui qu'elle cherchait, assis sur un rocher à l'écart, lunettes sur les yeux et tête entre les épaules. Elle se dirigea vers lui à grands pas.

Clairon bougea légèrement la tête, signe qu'il la voyait arriver. Il l'interpella alors qu'elle se trouvait à cinq mètres.

 - Il vous faudra quelque chose, m'dame Faure ?

- Je souhaiterais simplement m'assurer que vous ne soyez pas blessé... murmura-t-elle.

Il redressa mécaniquement le col de son manteau et sourit, pensif. Sans répondre, toutefois. Neva fit quelques pas, doucement, et tendit la main vers le col en laine qui dissimulait le cou du valet, mais avant qu'elle ne parvienne seulement à le frôler, Clairon saisit sa main d'un geste vif pour l'en détourner.

 - Votre sollicitude me touche, marmonna-t-il, ne parvenant pas à masquer pleinement sa surprise, mais je vais vous demander de me faire confiance là-dessus, dit-il. Je m'en charge.

 - Je ne voulais pas vous offenser, glissa Neva, l'air désolé. Je vais donc vous laisser vous occuper de cela, mais je compte sur vous pour vous soigner correctement !

De nouveau, il sourit, quelque chose de tendre dans les traits.

 - Excusez-moi de ma brutalité, c'est un mauvais réflexe.

Un ange passa.

 - Vous savez, reprit-il, j'ai fait des reproches à De Myrionds et Lathos, mais je ne tenais absolument pas mon sauvetage pour acquis. Je vous remercie de m'avoir secouru, m'dame Faure, c'était très courageux de votre part.

 - Je ne changerais rien si l'occasion se représentait, Clairon, soyez-en certain.

Il se contenta d'acquiescer :

 - Il vous fallait autre chose ?

 - Non, je ne voulais que m'assurer que vous alliez bien. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps.

 - D'accord. Vous éloignez pas trop, on repart dans sept-huit minutes.

 - J'y veillerai, merci."

 

À peine Neva l'avait-il quitté que Sherlock se dirigea à son tour vers Clairon d'un pas vif. Le valet, assis sur un rocher, observait la ville, bien découpée dans son refuge de neige. Sherlock estima rapidement qu'il leur faudrait une heure - moins, si, suivant les ordres du valet, on y allait au galop. Ce dernier se détourna de son observation pour regarder Sherlock arriver :

 - Bonsoir, De Myrionds. Il vous faut quelque chose ?

 - M'excuser serait envisageable dans un premier temps, Clairon.

Le valet eut un simple geste pour balayer l'excuse, haussant les épaules.

 - Votre antipathie a failli vous perdre, vous savez ? reprit Sherlock

 - Suis-je supposé en tirer une leçon, d'après vous ? sourit ironiquement le valet en s'étirant vers l'arrière pour s'appuyer au rocher.

 - Bien que vous ne soyez pas sérieux, vous n'avez pas tort. Si ces trois demoiselles ne vous avaient pas secouru, ce serait votre corps qui serait en train de brûler.

 - Le monde est suffisamment sérieux pour vous et moi, De Myrionds.

Le valet semblait absorbé dans ses pensées. Presque... Sherlock était persuadé de se tromper, mais il croyait avoir décelé dans ses yeux... de la tristesse ?

 - Désormais, reprit Sherlock, conciliant, nous sommes sur le même bateau, mon cher Clairon... Nous serrer les coudes est la meilleure chose à faire.

Clairon n'y trouva rien à répliquer. Il s'était de nouveau absorbé dans son observation de la grande ville. Au bout d'un moment, il reprit conscience de la présence de Sherlock :

 - Il vous fallait autre chose ?

 - Vous savez ce que sont ces choses ? s'enquit Sherlock.

Il n'y avait pas besoin qu'il précise de quoi il parlait. C'était tout à fait limpide. Clairon haussa de nouveau les épaules :

- Désolé, dit-il seulement. Si j'avais su qu'il y avait semblables créatures dans le coin, j'aurais été plus vigilant, croyez-moi.

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