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Des histoires de Seuls
De Chrysoprase — 16 octobre 2018 à 21h23
INKTOBER 16 - INCENDIE
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En temps normal, Néosalem était plutôt sûre. En temps normal, il n’y avait pas de problème tel que celui-ci ; en temps normal, il y avait quelqu’un pour s’en charger.

Visiblement, le nouveau gars au pouvoir avait d’autres urgences que de s’assurer de la sécurité de tous ses sujets. Grand bien lui en fasse ; s’il s’en sortait, il irait lui-même lui foutre la tête dans le feu, empereur ou pas empereur. Le soldat était mort suffisamment de fois pour savoir à quel point c’était désagréable, et dieu savait qu’il ne souhaitait pas ajouter brûlé vif à son palmarès. Si la fumée ne le tuait pas avant.

Il se plia en deux alors qu’une nouvelle quinte de toux le saisissait ; Alex se retourna, l’attrapant à l’aveuglette par la manche tout en tentant de continuer de protéger ses yeux. Il savait que son camarade essayait de les sortir tous les deux du bordel dans lequel ils étaient, mais son action faillit le faire tomber alors qu’il était soudain tiré en avant, et la surprise le fit inspirer brusquement. Il s’étouffa un peu plus et s’effondra, provoquant la panique de l’autre.

                -Gaspard putain, debout !

Il essaya de répondre ; abandonna aussitôt, préférant consacrer ses forces à obéir. Devenir un poids pour l’autre n’entrait pas dans ses objectifs. Il réussit péniblement se relever, s’aidant de la main que lui tendait Alex ; ils étaient au premier étage, si le bâtiment ne s’effondrait pas avant qu’ils atteignent le rez-de-chaussée, ils avaient une chance.

L’incendie les avait surpris pendant leur sommeil ; et si tous les gars de leur dortoir avaient pu sortir à temps, ce n’était pas le cas de tous. Les cris de surprise, de peur, avaient été là pour les en assurer. Il avait entendu des pleurs, à un moment, sans trop savoir d’où ils pouvaient bien venir. Qu’un de ses collègues puisse pleurer, malgré leur âge, malgré leur expérience, malgré leurs fautes… Il n’avait pu s’empêcher de fermer les yeux ; et l’irritation due à la fumée avait caché les larmes qui sinon auraient malgré lui roulé sur ses joues.

Quelques hurlements, de douleur, de panique.

Le sol s’effondra soudain devant lui.

                -ALEX !!

Le garçon venait de disparaître, et ne répondit pas. La chute l’avait soit tué, soit suffisamment amoché pour qu’il ne puisse faire savoir qu’il était en vie. Dans tous les cas, impossible pour Gaspard de l’aider ; la conclusion s’imposa à son esprit avec une telle froideur qu’il eut quelques secondes le souffle coupé. Ce fut suffisant pour que son corps, déjà en manque d’oxygène, ne lâche prise. Le soldat s’effondra, tentant de se retenir au mur.

Ce n’était pas juste, il venait à peine de mourir, il venait à peine de revenir, il ne pouvait pas…

Un cri, qui n’avait plus grand-chose d’humain.

La fumée, de plus en plus épaisse, lui fit cracher ses poumons. Plus rien n’était à attendre : le bâtiment en proie aux flammes ne permettrait à aucune bonne âme de venir les aider, avec un peu de chance réussiraient-ils à couper la route au feu, à empêcher l’incendie de se propager.

Gaspard n’eut pas la force de se traîner plus loin, et se laissa tomber, la tête lui tournant trop pour qu’il puisse ne serait-ce qu’envisager de résister. Il n’eut que quelques instants de répit.

Le soldat hurla lorsque le feu commença à lui lécher les jambes, lorsqu’il remonta le long de son corps ; il lui était impossible de l’éteindre, et quand bien même il aurait essayé, cela n’aurait conduit qu’à rendre son agonie plus douloureuse.

Son cri s’acheva sur un gémissement, qui s’interrompit aussi brusquement qu’il avait commencé.

Dans la nuit de Néosalem brûlait la caserne des soldats.

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