Comment tout cela avait-il commencé… ?

C’était une bonne question, qu’il ne s’était jusque-là pas posée. Trop de choses s’étaient produites d’un coup ; l’évasion de Fortville et la découverte des Familles, l’arrivée à Néosalem et son accession au trône. Mais maintenant que tout s’effondrait autour de lui, il en venait à se demander pourquoi. Pourquoi il avait fait tuer Toussaint, pourquoi les lois sur la Huitième Famille, pourquoi tout cela puisque quoi qu’il fasse, Camille ne reviendrait pas ?

La faute à l’ennui.

La faute à Toussaint, qui avait poignardé Camille et révélé sa véritable nature, la faute au Magister pour immédiatement s’être inquiétés, la faute à tous les autres pour n’être pas capable de le divertir.

Il aurait pensé que diriger une ville aurait plus d’intérêt que cela, mais ses journées restaient désespérément vides, quand tout ce dont il avait besoin était de quoi s’occuper l’esprit. Si seulement il avait encore ses maquettes, restées à Treasure Island… Voilà une activité qui lui manquait. Assembler les modèles réduits, leur donner forme ; un travail long mais payant.

Et dans cette ville où rien ne se produisait, dans cette Néosalem qui n’avait de nouveau que le nom tant il lui semblait connaître par cœur ce qui se produisait chaque jour, selon un schéma sans cesse répété.

Il s’ennuyait, Camille n’était plus là, et il dirigeait des inutiles, des incapables.

Les Sages, pour commencer.

Lucius, qu’il ne voyait plus. Il n’aimait pas l’enfant, bien trop stoïque à son goût, il lui faudrait s’en méfier. Eloi, qui se pliait à tous ses caprices, était bien plus amusant, mais une fois encore, insuffisant à le distraire bien longtemps.

Diane, elle… Diane avait eu son intérêt. Qui aurait cru que derrière une adolescente semblant si assurée, si fière, se cachait en réalité une gamine angoissée, pleine de terreurs et de complexes. Il avait été amusant de la voir briser, le jour où il lui avait rendu visite. Il n’avait suffi que de quelques mots pour voir de ses yeux disparaître toute trace de calme. Le moment où il avait renversé le bureau avait été le plus savoureux ; le bruit de la chute, violent, lourd, avait été comme un déclencheur, et elle s’était effondrée.

Mais Diane était maintenant morte ; il avait appris son suicide dans la journée, et n’y avait pas accordé plus d’importance qu’il n’en méritait. C’était une réaction décevante. Pas qu’il se soit vraiment attendu à mieux de sa part.

Eloi et Lucius avaient immédiatement su ; le plus petit ne parvenait plus à le regarder sans laisser échapper des indices de sa rage, l’autre semblait se ratatiner un peu plus désormais, éviter son regard dans lequel il cherchait auparavant l’approbation.

C’était un développement intéressant, et tant pis si cela le faisait passer pour cruel ; il ne connaissait nul sentiment pire que l’ennui qui l’envahissait dès que l’agitation retombait. Alors il continuait, et tant pis si Néosalem s’effondrait à la suite de ses habitants. Il ne se souciait guère du sort des Familles.