Il s’est toujours dit que ça ferait mauvaise impression à l’équipe, d’avouer ce genre de truc. Rien qu’à lui-même, il lui a fallu un peu de temps, alors en parler aux autres… Fin, aux autres, pas qu’il en soit là. Commencer par Axeleï, ça lui semble déjà insurmontable, les copains, ils attendront.
Quand il entend les pas de son frère, il commence à regretter. Surtout que la façon dont il a formulé ça, l’autre doit s’attendre à la fin du monde, à ce qu’il quitte l’escouade, rien que ça ; mais c’était ça ou ne rien lui dire, et bon sang, il a besoin d’en parler à quelqu’un, parce qu’à force de rester enfermer dans ses monologues stériles, il commence à se dire que c’est une idée viable. Nan, définitivement pas, et Axeleï saura le remettre dans le droit chemin. S’il a de la chance, ça s’arrêtera à un sermon. Quel con, aussi. Forcément que Théa est cool. Forcément qu’ils l’admirent tous un peu, que sa détermination leur en met plein les yeux ; mais c’est pas Edith ou Alcyon qui irait s’amouracher de la boss, quoi.
- Tu voulais me voir ?
- Nan, mais, ça fait un moment qu’on a pas pu se poser ensemble, j’me disais…
Sa réponse tire un « Hm hm. » peu convaincu à l’autre, et Alexeï hausse les épaules.
- Non, ok, j’avais besoin de parler d’un truc un peu débile.
- Pour changer ?
- Oh ta gueule. Ecoute, tu sais quand on causait des autres ? Du fait que la team était chouette, que ça faisait p’t’être du bien au moral de tout le monde de prendre des temps de pause où on se voit, en dehors, tout ça ?
Un petit silence, un coup d’œil, et il peut voir qu’il a capté l’attention de son frère, que l’autre attend la suite. Son visage est détendu, maintenant que le sujet semble plus léger, l’ombre d’un sourire traîne sur ses lèvres. Bon, il détourne le regard, pour la suite, respire un coup.
- Tu sais, quand heu, Théa, notamment, a commencé à se lâcher un peu, avec nous, et que je sais pas, elle s’est mise à rire à mes conneries, et la fois où elle a failli te faire un croche-patte, et la façon qu’elle a de nous parler un peu plus, maintenant, tout ça ?
Il ne s’attend pas vraiment à une réponse, en fait. Il n’a pas planifié jusque-là, en fait, et se tourner de nouveau vers Axeleï lui tire un rire nerveux ; le soldat semble voir où il veut en venir, ses traits n’exprimant plus aucune émotion sinon la fatigue, mais il l’encourage d’un bref signe de la tête.
- Bah peut-être que je l’aime un peu bien… ?
Oh, ç’aurait pu être mille fois plus ridicule, mais comme il s’en veut de l’avoir formulé ainsi. Ils sont soldats, bon sang, pas collégiens, ils ont tout vu, la violence, la mort, et voilà qu’il est incapable de s’exprimer correctement. Au moins, c’est dit, et le poids qui pesait sur sa poitrine s’allège. Il est prêt pour le remontage de bretelles, désormais, pour se voir rappeler qu’on évite les relations au sein d’une équipe, surtout entre soldats, que ça ne peut que créer des problèmes. Les arguments, il les connaît par cœur, il a eu le temps de les imaginer, d’en débattre, de s’y résoudre, mais si quiconque pouvait les lui rabâcher, juste une fois…
- Tu veux quoi, Alexeï, ma bénédiction ?
Oui, ou il aurait pu s’attendre à ça, aussi. Axeleï lui a toujours laissé passer trop de choses.
- T’es supposé me rappeler à l’ordre, en fait. Tu sais, « mauvaise idée, si vous vous engueulez ça va pourrir le groupe », ce genre de choses ?
- Pour ça faudrait déjà que t’aies une chance avec elle. Je pense qu’elle a des standards, on parle de Théa là, quand même…
- Oh le bâtard.
- Et puis on t’a tous grillé à des kilomètres, hein.
- J’t’en prie, tais-toi.
Et il est soulagé, de l’entendre éclater de rire, de se prendre une bourrade dans l’épaule, que ce soit aussi simple que ça. Il aurait préféré qu’on lui dise non une fois pour toute, peut-être. Que ce soit hors de portée, vraiment, mais il a toujours suivi le mouvement, vu où sa chance le portait. Peut-être qu’il aura droit à un coup de pouce de plus.