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Des histoires de Seuls
De Tricipitem Aquilae — 15 juin 2019 à 17h32
Origine - II - Blizzard
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Trois jours de vadrouille dans le froid, la neige, le vent ; à grimper des pentes abruptes avec tout le barda sur le dos et le chef de section qui aboie ses ordres. Le pire, ce n’était pas la météo ; c’était l’humidité. La neige qui fond sur les vêtements et les transforme en éponges impossibles à faire sécher, qu’on ne peut même pas quitter sous peine de mourir de froid. Le simple poids de mes vêtements me faisait plier l’échine, et le lourd fusil de sniper que je transportait n’y arrangeait rien. Sous ces conditions, n’importe quel enfant de treize ans aurait craqué en quelques dizaines d’heures.

Pas nous.

Nous, nous avancions sans penser à rien, suivant la piste, les yeux grands ouverts dans la neige. Nous, nous étions les plus durs des durs, les plus malins d’entre tous, les meilleurs combattants. Dans d’autres unités de l’armée impériale, nous aurions été capitaines ; mais nous avions tous refusé cet honneur. Comme certains de mes camarades le disaient : plutôt être un loup dans une meute qu’un lion au devant d’agneaux. Et c’était exactement ça.

Les premières familles constituaient leur armée en faisant appel à des conscrits de la 7ème, laissant les militaires professionnels de la 6ème famille garder les villes et les officiels. Les rivalités entre les Eclaireurs et les Magisters n’avaient rien arrangé et nos rangs étaient plus clairsemés que jamais. Chaque unité avait secrètement prêté allégeance à l’un ou à l’autre des deux camps d’une guerre civile qui se préparait, et la plupart des commandants s’étaient repliés vers les villes en quête d’une bonne occasion de faire croître leur influence. Pour défendre les frontières, il ne restait que les subalternes malmenés à la tête de civils armés plus que de soldats, et nous. Les forces spéciales, les braves de l’empereur.

Quelques uns parmi les rares capables de soumettre des rebelles avec un minimum de combat. L’état de nos forces ne nous permet pas de combattre longtemps, nous devons agir vite, et bien.

Pour cette mission, une troupe de trouffions de la 7ème nous servait d’appât. De l’autre côté de la montagne, elle stationnait à l’entrée d’une gorge au bout de laquelle se trouvait un village d’insurgés. Ils défiaient depuis des mois l’existence même de l’empire, ralliant à eux quelques petits groupes. Ils menaient la belle vie pendant que les Premières Familles, leur seule défense face au mal, combattait pour eux. Nous étions là pour les capturer, et les mettre à contribution.

Au petit matin, nous arrivâmes au col qui nous permit de descendre vers leur village. Il neigeait abondamment, la visibilité était faible. Nous enfilâmes nos grands parkas blancs, et nous espacèrent. Pas un mot, pas une question : tout le monde connaissait le plan, le terrain, et les adversaires.

Nous descendîmes en rangs éclatés, un tous les cinq mètres, camouflés. Nous longeâmes une pineraie couverte de neige, et je me séparai du groupe pour rejoindre mon objectif. Nous avions repéré une position légèrement en surplomb, un parfait nid de sniper. Le groupe fit halte, il fallait s’assurer qu’aucune sentinelle ne se trouvait là. Je saisis mon fusil et enfonçait des bouchons d’oreille pour ne pas souffrir d’éventuels coups de feu. De la neige jusqu’aux genoux, je me déplaçais aussi lentement que possible dans le silence glacial du début de matinée.

Sur la position, personne. L’ennemi n’avait probablement même pas conscience de cet endroit. Je m’allongeai et fit signe à mon camarade le plus proche, qui donna le signal de la reprise de la progression. A ce moment, l’averse de neige se calma peu à peu, se réduisant à quelques flocons.

Par la lunette de mon arme, je m’assurai que les données topographiques que nous avions recueillies par avion quelques jours plus tôt étaient exactes.

Le village était au plus profond de la vallée, sur une zone plate et dégagée, à environ six cent mètres de ma position. Il était entouré par des palissades de trois mètres de haut constituées de tout ce que les rebelles avaient pu trouver : rondins de bois, voitures, volets, rideaux de fer, grillages. Au centre du village, à la mairie, ils avaient déployé un grand drap avec leur sigle dessus. Leur chef se tenait sur le balcon, regardant la neige tomber sur ses hommes. Il en restait quelques uns, éparpillés le long des défenses, mais le gros des troupes ennemies étaient aux gorges en train d’affronter le contingent de la 7ème.

Toutes les conditions étaient réunies.

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