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Des histoires de Seuls
De Malike — 3 août 2019 à 12h30
L'interprète (1/2)
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Je sais pas ce que je fais, donc have Isaure qui rentre de mission et qui tape la discute avec le plus allemano-gentlemanique de tous mes OCs. 

 

Ils avaient amarré au port de Néosalem pendant la nuit, alors que les étoiles se faisaient voir dans le ciel noir. Elle avait pu descendre du bateau pour la première fois depuis des semaines, sillonnant un peu le sol enneigé des montagnes tandis que l’équipage s’affairait à entretenir le navire.

Les marins faisaient au plus vite, et les soldats aidaient. Une partie des civils engagés pour leur servir d’équipage devrait rester sur le bateau, le faisant faire demi-tour jusqu’à une vigie maritime prévue à cet effet, du côté du lac qu’ils avaient quitté une heure auparavant. L’autre partie, choisie bien avant le départ, serait escortée par les soldats et la Magister jusqu’à la ville. Malgré l’aspect anodin de ce voyage, le peu de risques engendré par l’absence des membres des Dernières Familles dans ces parages, les conditions climatiques restaient rudes, et il faudrait qu’Isaure donne d’elle-même pour exhorter son groupe.

Lorsque Yuki, sa seconde, vint l’avertir que le bateau s’apprêtait à repartir, elle ne perdit donc pas une seconde. Elle avait briefé les membres de l’expédition pendant la traversée, et elle veilla à ce qu’ils exécutent ses ordres avant de donner le signal de départ.

Malgré le trajet effectué sans encombres, et malgré l’aspect rassurant du ciel virant au gris matinal qui laissa scintiller doucement la neige autour d’eux, elle fut soulagée de pouvoir tirer un talkie de sa cape brune pour annoncer son arrivée au poste de garde. Elle regarda fixement les silhouettes qui se découpaient au-dessus des murailles, et ne montra aucune émotion lorsqu’on leur ouvrit les portes.

Ils n’étaient pas encore rentrés, elle fit signe au groupe, intimant à Yuki de prendre le relais et de les conduire tandis qu’elle serait en arrière. Aucun signe inquiétant. Ils purent enfin rejoindre la ville, laisser les marins se recenser et les soldats retrouver leurs dortoirs et leurs camarades. Isaure fut conduite directement au palais pour son rapport. Elle aurait mieux voulu dormir toute la journée.

En complétant les cartes et plans avec les notes prises au cours de l’expédition, les sages et elle confirmèrent ses suppositions ; elle était bien allée jusqu’à Francfort, devenue méconnaissable. A moitié terre brûlée, sur laquelle un seul bâtiment, intact et neuf, tenait sur pied. Les dirigeants de Uhrstadt, leurs homologues allemands, les avaient contactés pour enquêter sur l’affaire de ce qu’ils appelaient « La Tour », craignant une nouvelle manifestation monolithique, et l’expédition menée par Isaure avait été la première jamais entreprise vers cette destination. Bien sûr, le caractère n’était pas dangereux – il s’agissait d’observer au possible ce bâtiment, en évaluant les risques pour ne pas se poser dans des situations délicates.

Le compte-rendu de la Magister était formel, malgré le scepticisme des sages ; la Tour n’était pas un nouvel organe du Mal, mais davantage un édifice semblable à ceux qu’amenaient de nouveaux venus dans les Limbes. La forme d’un unique bâtiment était assez particulière pour qu’il y ait lieu de se questionner. Elle avait voulu interroger plus avant les dirigeants de Uhrstadt, afin de savoir ce qu’ils avaient vu, mais Lucius avait souligné que la barrière linguistique était trop forte pour l’envisager.

- Ce sont des conservateurs, murmura-t-il, mains croisées dans le dos, tandis que Diane jaugeait Isaure, assise à l’écart. Ils tiennent aux racines de leur pays disparu, dont ils ont porté la culture pendant des générations. Il n’est pas envisageable de discuter en français actuel avec eux – ils le prendraient terriblement mal.

- Avez-vous une solution, pour ça ? s’enquit-elle, sceptique.

- En fait, oui, intervint Eloi. Nous avons anticipé les mesures, j’espère que vous nous excuserez : nous avons parmi les membres de notre aristocratie un certain Folkerstein, qui pourrait nous servir d’interprète. Nous l’avons convoqué pour lui expliquer la mission. Je pense que les nouvelles précisions que vous nous apportez seraient nécessaires pour l’informer, avant un éventuel départ.

- Pour quand devrait-on partir ?

Elle se sentait déjà prête à reprendre les mers. Les découvertes faites à Francfort avaient aiguillonné sa curiosité ; mais Diane secoua la tête, un sourire amusé aux lèvres :

- Pas avant une semaine, Isaure. Je sais votre enthousiasme, mais je pense qu’il serait bon de reprendre avec vous les mêmes membres d’expédition, afin de ne pas se fatiguer dans les formalités une seconde fois, et ils ont besoin de repos.

- Je pourrais former une autre équipe rapidement, protesta la Magister. Nous avons besoin de ces informations au plus vite, qui sait ?

- Nous n’allons pas nous disputer à ce propos, intervint Eloi. De toute évidence, dame Isaure…

- Je propose personnellement de suivre l’option de Diane, dit Lucius. Pour la simple et bonne raison que de toute manière, Folkerstein aura besoin d’être informé. Gérer un nouveau membre et une nouvelle équipe me semble beaucoup trop laborieux pour l’effet donné. Et pour lesdites informations, l’équipe saura peut-être vous aider dans vos repérages et déductions, puisqu’elle était déjà avec vous la première fois.

Les arguments étaient trop raisonnables, ou Isaure trop fatiguée pour protester. Lorsqu’elle put prendre congé, elle vit un valet qui l’attendait devant la porte, et se leva à son approche :

- Dame Isaure ?

- Que me veux-tu ? demanda-t-elle.

En guise de réponse, il lui tendit une enveloppe, sur laquelle son nom était soigneusement rédigé. Le garçon saluait déjà, mais elle le retint :

- Qui t’envoie ?

- Monsieur Astolphe von Folkerstein, madame.

Elle acquiesça, et laissa pensivement une pièce conservée au fond de sa bourse au garçon, qui esquissa un sourire ravi avant de s’écarter pour la laisser lire tranquillement :

Dame Isaure,

J’espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé. Ayant été informé de mon statut d’interprète au cours d’une prochaine mission, j’ai été prié de vous consulter dans les plus brefs délais. J’ose me montrer cavalier en vous invitant ce soir à mon domicile pour prendre le thé et s’entretenir dans des conditions plus paisibles de cette affaire.

Je réside au…

Elle haussait les sourcils en lisant. Jamais on ne lui avait demandé d’organiser une réunion d’information autour d’une tasse de thé, et l’idée, aussi amusante soit-elle, semblait un peu trop fantasque. Elle glissa l’enveloppe dans sa poche et rappela le gamin :

- Dis à ton employeur que je serai là à 17h.

Il s’inclina et partit. Elle ne voulait plus, à présent, que s’effondrer dans son lit et rattraper son sommeil.

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