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Des histoires de Seuls
De Abby_From_The_Abyss — 22 août 2019 à 12h55
Livre ouvert [OCs] 
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"Je peux très bien tout porter par moi-même, tu sais ?" 

"Avec ta carrure de clou ? Laisse-moi rire, shortie !" 

"T'as rien de mieux à faire que de me trouver des surnoms ?" 

"Tu préférais Blondie ?" 

"Je n'ai rien dit" 

 

Sean ricana tandis que Pénélope leva les yeux au ciel. Les deux adolescents grimpaient les escaliers menant au repaire, les bras chargés des caisses contenant les courses de la semaine. La jeune fille baissa momentanément les yeux sur celles qu'elle transportait. 

 

"Je vais tout de même devoir envoyer quelqu'un en semaine, je le sens" elle soupira et jeta un regard accusateur vers Sean "Vous mangez tellement que ça m'étonne que le plancher soit encore entier ! Vraiment, le jardin ne suffit même plus !" 

"Nous, au moins, on ne s'affame pas !" 

"Tu as vraiment prévu de m'énerver, aujourd'hui !" 

"Pas plus que d'habitude" 

 

Le rire de Sean fut coupé lorsque, arrivés en haut des marches, ils virent deux silhouettes étrangères discuter avec l'un des membres du clan. Le garçon fronça les sourcils. 

 

"Qu'est-ce qu'il se passe, encore ?" 

"Aucune idée. Avec qui il parle ?" 

"Euh..." Sean hésita un moment "On dirait pas un peu des soldats ? Et leurs uniformes, c'est..."

 

Les yeux de Pénélope s'élargirent quand elle reconnut les tenues. 

 

"Oh putain de bordel de-" 

 

Pénélope fit volte-face et tenta de redescendre mais elle se fit vite arrêter. Le gamin près des soldats la remarqua et l'appela immédiatement. 

 

"Vous vouliez parler à la patronne ? Eh bah, la voilà ! Pénélope !! Y a des soldats de Néosalem qui veulent te voir !" 

 

La jeune fille se retourna et remonta les marches avec dépit. Elle vit les deux soldats lui faire signe de s'approcher tandis que l'assassin, lui, avait déjà détalé. L'expression de Pénélope s'assombrit et elle sentit Sean poser une main rassurante sur son épaule. Les deux s'avancèrent vers les soldats. 

 

"Pénélope Kovacevic ?" dit sèchement l'un d'eux "Capitaine de la milice de Sabbatacle ?" 

"Que me vaut l'honneur...?" 

"Nous voulions nous entretenir avec vous au sujet du comportement de l'un de vos subordonnés" 

"Il va falloir être plus spécifique..."

Le deuxième soldat, l'air plus sévère que son camarade, s'avança "Il semblerait qu'un assassin sabbate ait attaqué un soldat neosalien, ayant causé de graves blessures" 

 

La caisse que tenait Pénélope glissa de ses mains, renversant tout son contenu sur le sol. La jeune fille pâlissa et se figea, choquée par l'accusation. Sean se remit plus vite du choc et posa ses caisses avant de croiser les bras. 

 

"J'ose espérer que vous avez des preuves ?" dit-il froidement "C'est une accusation très grave !" 

"La victime et son groupe rapportent avoir été de passage au village de Sainte-Hélène, à quelques heures de Sabbatacle. Ils patrouillaient quand un groupe d'enfants portant votre uniforme les ont attaqués. La plupart n'ont reçu que des coups mais l'un d'eux a été blessé par arme blanche"

"Nous avons mené notre propre enquête" renchérit le deuxième "et nous avons trouvé des civils approuvant ces faits" 

"Sainte-Hélène ?" Pénélope revint enfin à elle "Quand ça ?" 

"Il y a trois jours" 

"Vraiment...?" marmonna-t-elle "Venez avec moi, je vais vérifier les rapports pour voir qui était de service à Sainte-Hélène cette nuit là" 

 

Les soldats grimacèrent mais finirent par accepter. Pénélope s'avança avant de se tourner brièvement vers Sean. 

 

"Tu peux porter ça à la cuisine ?" dit-elle en désignant les caisses "J'arrive dans un instant" 

 

Sean acquiesça. Il s'empara des deux caisses, dépassa Pénélope et jeta un regard d'avertissement aux neosaliens avant de disparaître dans les couloirs. Pénélope guida les deux jusqu'aux archives sous les regards méfiants du reste du clan. 

Une fois arrivés, Pénélope ne tarda pas à se diriger vers l'un des nombreux meubles, fouilla dans un tiroir et en sortit un tas de papiers qu'elle jeta sur la table face aux soldats. Elle les examina et, après plusieurs vérifications, ses doigts se crispèrent sur l'une des feuilles. 

 

"Vous êtes sûrs de la date ? Du lieu ?" 

"Tout à fait sûrs" 

"Et vos hommes," elle releva la tête "ils racontent souvent des conneries pour se rendre intéressants ?" 

"Pardon ?!" 

"Personne n'était à Sainte-Hélène, cette nuit là !" Pénélope frappa la table du plat de la main "Je n'ai envoyé personne là-bas, il y a trois jours ! C'est bien ce qu'il me semblait !" 

"Oh, du calme ! Pas la peine de s'énerver !" 

"Avez-vous des preuves ? Nous avons des témoins qui rapportent avoir vu vos assassins. Qu'est-ce qui nous prouve que vous n'essayez pas de couvrir vos subordonnés ?" 

"D'ailleurs, vos témoins, qui sont-ils ? Existent-ils seulement ou est-ce une overdose de vin ?" 

"Ne prenez pas ce ton !" l'un des soldats, le plus agressif, s'avança jusqu'à être face à Pénélope "Vous vous rendez compte de la gravité de la situation ? Si jamais nous apprenons que vous nous mentez, cela finira très mal pour vous !" 

"Et si vous, vous mentez ? Rien ne se passe, j'imagine" 

"Qu'impliquez-vous là ?" 

"Je dis juste que quand on cire les mocassins du triumvirat, la vie est bien plus simple, hm ? Qu'est-ce que vous cherchez à faire, exactement ?" 

"Qu'est-ce que nous-?!" 

"On vous a demandé de nous poursuivre, c'est ça ? Et du coup vous inventez des aggressions, des témoins... Qu'est-ce que vous croyez ? Je suis pas née de la dernière pluie" 

"Je vous conseille d'arrêter de-"

"Et je vous conseille d'arrêter de harceler mes camarades ! Si je croise encore une de vos sales faces de poukaves près d'eux, je-" 

 

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase. Le poing du soldat se leva et vint frapper le visage de Pénélope, juste sur son œil gauche. La jeune fille recula sous le choc et dut se rattraper au bureau derrière elle. Elle gémit sous la douleur qui gagna rapidement tout son visage. Elle pouvait entendre le deuxième soldat sermonner son camarade et Sean, revenu des cuisines, se précipiter dans la pièce en lui demandant si elle allait bien. La chef eut besoin de quelques secondes pour reprendre ses esprits. La douleur ne s'atténua pas, bien du contraire. Plus le temps passait, plus il lui semblait avoir mal. Même en recouvrant son œil pour le protéger de la lumière, elle avait l'impression qu'un pieu traversait son crâne et son globe. 

 

"Putain..." pesta Pénélope en s'assurant qu'elle ne saignait pas "C'est quoi votre problème ?! Encu-" 

"Bon, ça suffit, maintenant" Sean s'avança de manière à être entre Pénélope et les gardes et toisa ceux-ci "Vous ne trouverez rien ici. Aucun membre de notre clan n'a attaqué un garde de la sixième, nous en avons les preuves. Vous feriez mieux de chercher un vrai coupable, s'il y en a un, plutôt que de vous acharner inutilement sur nous"

"Dis donc, baisse d'un ton, toi !" cracha l'un des soldats "Je ne t'ai pas sonné ! Je préférerais continuer à m'entretenir avec ta capitaine"

"Et elle vous a donné une réponse" le ton de Sean se glaça "Mais vous continuez à la harceler sans raison. S'en prendre à plus vulnérable... ainsi donc la lâcheté néosalienne n'est pas un mythe"

"Sale vermine !" 

 

Le soldat posa la main sur son épée mais le deuxième l'arrêta en posant une main sur son épaule.

 

"Laisse, Gaspard" il jeta un regard noir aux deux assassins "Ils n'iront pas dire qu'on ne les a pas prévenus"

"... bien" il lâcha son arme et tourna les talons "On y va, Alex. J'ai pas envie de rester plus longtemps dans ce trou à rats"

 

Alex acquiesça et sortit de la pièce, suivi par son camarade. 

 

"Pas besoin de vous montrer la sortie, j'imagine ?" lança Sean sans attendre de réponse. Il se tourna ensuite vers Pénélope et posa ses mains sur les épaules de la jeune fille "Ça va ?" 

 

Elle hocha doucement la tête. Elle prit néanmoins les bras de Sean et retira ses mains. 

 

"Ça va, ça va... Merci..."

"Ils t'ont pas fait trop mal ?" 

 

Le garçon se mit à genoux pour examiner le visage de son amie. La peau autour de son œil avait bien enflé et commençait déjà à bleuir. Il essaya de tâter la blessure mais Pénélope se dégagea presque immédiatement. 

 

"Ça va, je te dis... J'ai vu pire..." 

"Hm..." il fit une courte pause "Viens, on va au moins te préparer une poche de glace" 

 

Il passa doucement son bras sur les épaules de la jeune fille et la guida hors de la pièce, l'aidant à marcher. 

... 

"Lequel de ces connards t'a fait ça ?!" s'exclama Fiona en titubant sous le poids du seau

"Le blond..." 

"Pénélope, te fous pas de moi !" 

"Bon, calme toi, Fiona. On a pas non plus besoin que ta voix de guerrier vienne nous exploser les tympans !" coupa Cédric 

 

Fiona posa brusquement le seau de glace sur la table de l'infirmerie et croisa les bras tandis que Sean et Cédric enveloppèrent des morceaux glacés dans des torchons. C'est alors qu'elle vit Audrey s'affairer un peu plus loin, penchée sur son carnet. 

 

"Et toi, qu'est-ce que tu gribouilles, encore ?!" demanda Fiona en se penchant sur la feuille "Tu crois que c'est le moment d'écrire tes poèmes à la con ?!" 

"Si tu savais lire, mademoiselle, tu verrais que c'est une plainte que je rédige !" répondit Audrey avec son habituel ton hautain "Il est hors de question que cet incident passe inaperçu ! Crois-moi, le triumvirat va en entendre parler ! S'ils aiment tant que ça les rapports, ils vont être servis !" 

"C'est pas la peine" marmonna Pénélope "Laissez tomber" 

"Tu te fous de ma gueule ?!" Fiona se dirigea à grandes enjambées vers Pénélope et se posta devant elle "Tu vas quand même pas laisser ça passer ! Ça suffit maintenant, d'être marxiste !" 

"Mar...?" 

"Laxiste, Fiona..." soupira Audrey "C'est laxiste pas marxiste..." 

"Ah et toi, ne commence pas !" 

 

Comme à leur habitude, les deux filles se lancèrent dans une chamaillerie, seules dans leur coin. Sean soupira en se levant et posa aussi doucement qu'il le put la poche de glace sur la blessure, ayant viré au violet, de Pénélope. 

 

"Attention, c'est froid" 

"Non, vraiment ?" 

 

La jeune fille frémit sous la douleur soudaine. Juste au moment où elle crut s'apaiser, Fiona et Audrey se mirent à crier de plus en plus fort. Leurs voix finissant par se briser sous leurs accents respectifs. Pénélope grimaça, sentant une migraine la gagner. 

 

"Quelqu'un peut me sortir ces imbéciles ?" grogna-t-elle en prenant la poche et en se massant les tempes

"Je m'en occupe" 

 

Cédric se leva et, sans attendre, saisit les deux filles par les chemises et les tira de force hors de l'infirmerie, sous les protestations de celles-ci. Pénélope souffla de soulagement quand le calme revint dans la pièce. Sean vint s'asseoir à côté d'elle et posa sa main sur celle de son amie. 

 

"Ça va mieux ? Tu veux qu'on appelle Ophélie ?" 

"Non, pas la peine...elle est où d'ailleurs, celle-là ? Un boucan pareil et elle se pointe même pas ?" 

"Aucune idée. Tu es sûre que ça ira ?" 

"Je te dis que oui !" 

"... Qu'est-ce qui ne va pas ?" 

"Rie-" Pénélope remarqua le regard dubitatif de Sean et soupira "... Ça me rappelle..."

"T'es pas obligée de dire son nom. Je comprends" il serra ses doigts sur la main de Pénélope "Tu veux en parler ?" 

"Non" 

"..." 

"... Peut-être ?"

 

Pendant quelques secondes, elle sembla chercher ses mots. Plusieurs dizaines de minutes finirent par s'écouler durant lesquelles l'assassin passait d'un sujet à l'autre. De son vivant, autant les bons moments que les mauvais, ses débuts dans les limbes où elle et David couraient encore les rues sans jamais rester bien longtemps... Puis vint le sujet le plus sensible de tous. 

 

"Honnêtement, même après m'être retrouvée à la tête des assassins, je pensais pas rester là toute mon existence. Et puis..." 

"... Et puis ?" 

"... Quelque chose... m'a retenue à Sabbatacle..." 

"Plutôt quelqu'un, non ?" 

 

Pénélope soupira. Sans lâcher la poche de glace à moitié fondue, elle s'allongea sur le lit et fixa le plafond. 

 

"Qu'est-ce que je lui trouve, à celle-là ? C'est juste une bécasse comme cent mille autres. Je pourrais marcher une heure dans Sabbatacle et en croiser des tonnes, des filles aux cheveux blonds. J'arrive pas à croire qu'elle a réussi à me bloquer dans ce trou paumé. Ses bourreaux avaient raison, c'est vraiment une sorcière !"

Sean secoua la tête "Je ne l'ai pas connue, je ne t'ai jamais vue avec elle, mais je peux te dire que si tu ne comprends pas ça, c'est toi la bécasse de l'histoire !" 

"Hein ?" 

"Même après que tu l'aies envoyée en huitième, tu n'as pas quitté la ville" 

"..." 

"Toi-même, tu attends qu'elle revienne, pas vrai ?" 

"Mais tu te fous de ma gueule ?!" 

 

Sous le choc, Pénélope se redressa et se leva. Elle alla jeter la poche complètement fondue dans le seau, plus pour tourner le dos à Sean qu'autre chose. 

 

"Penny, j'avais jamais compris pourquoi tu refusais purement et simplement de t'attacher à d'autres personnes. Mais en fait, c'est juste que tu as peur d'avoir un autre cœur brisé" 

"J'avais pas le cœur brisé, bordel ! Et puis pourquoi on parle de ça ?!" 

"Parce que tu as lancé le sujet" 

"Mais-" 

"Et c'est parce que tu voulais en parler" 

"Sean-" 

"Et tu veux en parler parce que tu ne sais plus ce que tu ressens" 

"Je-" 

"Après toutes ces années, ta colère est retombée, Pénélope. Tu commences à réfléchir à ce qu'il s'est passé et à ce que tu as fais. Et comme tu as agi selon tes sentiments, tu ne sais plus ce qui est bien ou mal" 

"Tai-" 

"Et tu sais aussi que tu n'arriveras pas à réfléchir à cela seule. C'est pour ça que-" 

"RAAAH, LA FERME ! Tu m'énerves! Et arrête de rire comme ça tout de suite !" 

 

Sean ne put s'empêcher d'afficher un sourire triomphant. La réaction de Pénélope ne faisait que confirmer l'exposé qu'il venait de faire. 

 

"Tu joues les dures mais on lit en toi comme dans un livre ouvert" fanfaronna le garçon "Au final, tu es la seule à ne pas savoir ce que tu ressens" 

"T'as gagné ! C'est toi qui iras faire les courses en semaine ! Et compte sur moi pour exagérer la liste ! Je ferai en sorte que tu sois obligé de remonter ces foutus escaliers au moins trois fois !" 

"Mais oui, mais oui, comme tu veux, shortie!" 

 

Pénélope lâcha un dernier râle avant de tourner les talons et quitter la pièce au pas de course. Sean resta un moment dans le silence à se repasser toute la scène dans sa tête. Il souriait de cet air toujours aussi vainqueur. Oui, il avait bel et bien vu clair derrière cette façade supposément infranchissable. 

 

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