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Des histoires de Seuls
De Jules Varensta — 25 août 2019 à 12h24
ENJOY THE CRUISE : CHAPITRE XI (Part 2)
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Ce fut légèrement farci de riz épicé et de crevettes que David se retrouva à cheval pour la première fois de sa vie, pour une promenade dans les forêts de bambous de l’île. 

On lui avait confié un pur sang local, un géant argenté à la crinière teinte en blond qui semblait moins marcher que planer d’un pas irrégulier au dessus du sol. 

Il avait d’abord été peu rassuré à l’idée de se déplacer sur un animal deux fois plus haut et dix fois plus massif que lui, mais la traversée du reste de la ville fut suffisante pour désarçonner ses appréhensions.  

Sybille avait choisi une monture noire aux tatouages verts floraux, un peu plus basse afin qu’ils parlent à hauteur égale. 

Passé une place secondaire, les remparts, un pont et un arc, la route serpentait dans un maquis dont les broussailles s’étalaient paresseusement des collines à la mer en contrebas, avant de faire place aux bambous avec leurs cannes en rideaux et leur feuillage plus léger que la brume. 

Toussaint trottait quelque part dans l’arrière plan de cette tapisserie turquoise. 

De temps à autre une haute silhouette châtain, rousse et verte trahissait la présence de sa bête de tournoi. Il fallut une dizaine de minutes pour le perdre de vue, ses hennissements sourds peu à peu estompés par la distance, le bruissements des feuilles et la rumeur des oiseaux. 

C’est seulement là que David se rendit compte qu’il n’avait jamais vu une forêt de sa vie.  Et encore moins traversé une sur le dos d’un animal. 

Comme sur le Léviathan il y avait une forme de paix, de fraîcheur, une oasis géante au milieu de cet océan vide et de ce ciel cuisant.  

 

 C’est là qu’il sentit une irritation dans le cou. Appliquant la paume et se frottant un peu, elle revint devant ses yeux couverte de moustiques écrasés. Le temps qu’il se demande ce qui lui arrivait il en venait d’autres sur ses bras, sur ses jambes, sur ses joues. Il venaient de plus en plus vite, de plus en plus violemment, il commençait à gémir, son cheval perdait son sang froid, Sybilla, visiblement accablée de la même manière, se rapprochait pour prendre un de ses rênes et l’emmener plus loin. 

Mais l’ulcérant sifflement ne diminuait pas, les insectes continuaient à les charger, les mouches harcelaient comme une charogne les montures prises de panique. 

Il leur fallut un moment pour remarquer le tonnerre de sabots plus haut sur leur droite, puis il y eut un hennissement de douleur. 

Le cheval de Toussaint transperça un rideau de bambous et les doubla dans une trombe.  Il galopait avec furie, hurlant et sautant sur le flanc de colline, faisant bon nombre de ruades qui envoyait son cavalier par dessus bord, retenu seulement par les rênes et une poigne inflexible. 

Mais lorsqu’il passa devant eux ils purent clairement distinguer l’éclair de folie dans le regard de la monture et la panique dans celui du cavalier. 

 

Sans un mot ils se précipitèrent au triple galop sur ses traces, dirigeant comme ils pouvaient leur montures toujours harassées par les insectes qui formaient une tempête presque palpable, faisant virevolter les cimes de chaque tronc qu’ils heurtaient, fonçant à travers les fourrés, les clairières, les ruisseaux, jusqu’à un dernier rideau de cannes devant le vide.  

Le cheval s’élança, le Magister tenta de se jeter sur le côté mais ne put s’agripper au bord de la falaise. 

Le noir et l’argenté freinèrent au dernier moment, dominant l’océan d’une cinquantaine de mètres, le chemin remplacé par une descente abrupte où alternaient des à pics et des rocs tranchants, finalement baignée par des vagues particulièrement furieuses. 

Au à l’un de ces rocs Toussaint pendait par sa cape, tandis que son cheval, visiblement ramené à la raison, se hissait péniblement sur les rochers en contrebas, bousculé par des germes d’écume aussi denses que des gifles.  

David remarqua alors que l’agression des insectes et la nervosité de sa monture avait également cessé aussi vite qu’elle était survenue. 

 

Sybilla avait déjà mis pied à terre, penchée au dessus du précipice et fixant le Magister en mauvaise posture. 

Ils n’avaient aucune corde sur eux, descendre la falaise à sa rencontre pouvait les envoyer au fond au moindre faux pas, et ses gardes du corps ne seraient pas là avant plusieurs minutes. 

C’est en voyant la souplesse des bambous que David trouva la solution. 

 

« -Sybil! Tu peux remonter sur ton cheval?

-Pourquoi faire? 

-Pour le repêcher! »

En une paire de coups d’œil elle avait compris où il voulait en venir. 

 

Lorsque le gouverneur, sa suite et celle de Toussaint déboulèrent sur les lieux du drame avec des montures également nerveuses et sous le choc, ce fut pour voir deux cavaliers inclinant une canne particulièrement souple, tordant la cime jusqu’à ce que ses rameaux disparaissent dans le vide. 

Les chevaux restèrent ensuite à enjamber le tronc pour le maintenir ployé, puis reculèrent pour lentement lui permettre de se redresser peu à peu, jusqu’à ce que la cime revienne dans le champ de vision avec une ombre qui s’en détacha et atterrit à leurs pieds. 

Toussaint en fut quitte pour quelques déchirures superficielles, et une embrassade sincère pour son sauveur. 

« Je m’en souviendrai, Dave. »

Son cheval, lui, ne fut récupéré par un bateau de pêche que vingt minutes plus tard, et ne serait plus en situation de galoper pendant des semaines.  

 

 

Lorsqu’ils rejoignirent la ville ce fut pour la trouver plus agitée qu’ils ne l’avaient laissée; les gens couraient en tous sens, plusieurs vitrines avaient été brisées et des étals renversés. On attrapait de toutes parts des chevaux au lasso et on tentait tant bien que mal d’apaiser les chiens et faire descendre les chats des toits. 

Toute cette pagaille s’était également déclarée peu après le début de cette balade, et les spéculations allaient déjà bon train... ...Tout comme leurs défauts.  

Ultrasons?

Aucun appareil sur l’île ne pouvait pousser le volume à ce point, et la base la plus proche à tester une arme de ce genre était à l’autre bout de l’archipel. 

Fluctuation de la teneur en dioxygène?

L’observatoire local confirmait qu’aucun phénomène de ce genre ne s’était produit aujourd’hui. 

Ingestion accidentelle d’ergot de seigle?

Il y avait bien des champs de seigle dans la région, mais comment tous les animaux du coin auraient t-ils pu en perdre la tête, mais pas les humains?

 

 

 

De retour à bord David se précipita vers la cabine d’Alfont, impatient de rapporter les événements de la journée. 

Quittant le corridor il trouva Arrio, un carnet de croquis sous Le bras, dans une antichambre couverte de fresques sur la baie de Naples. 

« -Alors à ce qu’il parait Toussaint te doit d’être en un seul morceau?

-Oui, je crois que maintenant ça ira bien entre lui et moi. 

-Tu progresses, en plusieurs siècles je n’ai jamais eu cette occasion. 

-Tu sais, ça aurait pu être n’importe qui. Si tu tombes d’une falaise je trouverai toujours un arbre pour faire canne à pêche. 

-Adorable. 

-Merci. Sinon qu’est-ce que tu fais avec un cahier?

-Du dessin. 

-Tu dessines?

-Il n’est jamais trop tard pour apprendre. 

-Et qu’est-ce que tu dessines?

-Andrew et le patron. Ils avaient la migraine et ils n’ont pas pu se lever du reste de l’après midi... ...Donc ils m’ont proposé de commencer un portrait à deux pour passer le temps. »

 

Il ouvrit le cahier à une page ressemblant à un brouillard bleu et mauve avec des nuages sombres ça et là. 

Sur la droite le brouillard tournait au blanc couvert de formes esquissées et roses pâle, indiquant vraisemblablement un lit et ses occupants. 

Avec en bas la note « draw us like one of your French/Kaeftian mermaids ».  

Au fond de l’antichambre une double porte donnait sur une vaste pièce avec des falaises et récifs non seulement en fresques, mais aussi en bas reliefs. Un vélarium avait été étendu au dessus de la terrasse, dans le fond. Une silhouette lui faisait mollement signe depuis un lit tellement vaste qu’il aurait rempli une chaloupe. Andrew s’y tenait, légèrement surpris mais souriant un peu, étreignant avec l’autre bras un Alfont à moitié réveillé. 

 

Plus tard, en regagnant sa cabine, David se dit que c’était un peu étrange. 

Non le fait que le propriétaire et architecte dorment ensemble en plein jour, encore moins le risque que Toussaint l’apprenne et sermonne leur comportement comme peu professionnel...

...Mais le fait que les palmiers, fleurs et fougères agrémentant cette suite étaient entièrement noirs. 

Noirs avec un feuillage lisse, abondant, flottant, presque chevelu. 

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