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Des histoires de Seuls
De Fenryr — 28 mars 2024 à 05h12
Acquisition, 1
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Vous voulez que je vous parle du Stephenberg ?

Alors avant tout, pendant que je vous tiens en haleine, alcoolisée pour la plupart, putride pour certaines, je m'en vais vous raconter une anecdote !

C’était vers le solstice d’été, il y a, quoi ? 5 ans ? J’avais alors été bombardé au poste du “conseiller de l’Acquisition” pour le compte du Triumvirat ; un fier poulain, disciple sans faille de la si définitive Diane.

Oui, mes chers con-citoyens ! Vous connaissez tous cette princesse macédonienne descendante d'Hermès lui-même, d’après ses lustreurs de pompes personnels, et qui aujourd’hui s’évertue à accumuler les déconnades en public depuis qu’un blond légèrement passéiste s’est mis en tête que les Limbes pouvaient être contrôlés comme une fourmilière.

C’est dans ce contexte pourri mais marrant que j’ai recroisé la route de notre protagoniste, dans cet élégant égout naturel bien-nommé Styx.


“Le truc le plus con jamais inventé par la nature, juste après ma seconde Blandine, c’est le sable.”

C’est en tout cas ce que m’avait assuré le chef de cette clique de voyous militarisés que vous appelez “Centurie”, avec cette abnégation de bouseux qui vous sied comme un gant.

Alors, deux petites choses : premièrement, vous le savez sans doute déjà, mais le fameux bidasse est un Fils des Cendres, issu de la Grande Vague du Désert. Il vient donc d’une région encore plus naze que le Styx, ce qui est un magnifique record.

Ensuite, Stephenberg avait, à l’époque, un peu tendance à se laisser aller à la dépression. C’était avant sa promotion au rang de Magister, Il déconnait et éclusait sec, un peu comme vous tous, mais en plus barbare. Pas aidé par une troupe de traumatisés qui tapaient autant que lui dans la gnole et les clopes, il avait écopé d’une récompense salement empoisonnée : reprendre la région du Fleuve, et s’emparer des “trésors” charriés par ses eaux.

Alors bon, sans remettre en question la parole de notre Commandeur bien aimé, il avait un peu tendance à céder aux exagérations dès qu’une merde lui tombait sur le nez.


Mais parlons maintenant un peu d’une autre amie, voulez-vous ?

Quelques semaines après que la Centurie ait accompli l’exploit de foutre le feu à tout ce qui n’était pas composé d’eau ou de sable, je me retrouvais, bien malgré moi, à traîner mes guêtres le long du Fleuve, avec mon équipe de pillards vétérans et de comptables besogneux.

Et vous allez me dire : “Damian, sobre enfoiré de Teuton, les Toges dans ton genre n’en ont pas assez dans le slip pour s’approcher à moins de cent lieues d’une zone de guerre !

Et vous auriez raison, éloquents fouille-merdes, si vous omettiez le fait que ce fringue à la con n’est à mes yeux ni un statut, ni un emploi. Il désigne avant tout un moyen bien pratique pour ne pas avoir trop chaud dans cette belle capitale remplie de cloques à pinard dans votre genre.

En ce qui me concerne, je mange du rat, je bois de l'eau croupie, et je regarde le soleil mourant le soir, couché sur l’herbe d’une plaine infinie, sans me plaindre des cloquidant cloportes et des curieuses coccinelles. Et accessoirement, je vous emmerde.

Où en étais-je ?

Ah oui, mon amie !

Voyez-vous, si la Garde est le poing droit de l’Empire, l’Acquisition, elle, en est la serre gauche. Une petite équipe, composée entre autres de votre serviteur, se charge de repérer et répertorier de toutes les ressources brutes d’une région nouvellement conquise, puis d’en calculer la valeur. Les comptes-rendus sont envoyés à Néosalem, qui ordonne alors de prélever tout ce qui pourrait intéresser le Triumvirat.

En arrivant dans les rues affreusement calmes de Styx, la capitale de la région du même nom, proche du fleuve du même putain de nom, j’ai découvert avec horreur la vérité sur ce maudit lieu. Un rapport rapide de mon équipe m’avait averti de l’enfer, et de toutes les peines que nous allions subir en faisant notre rapport à Néosalem.

Le désespoir en bandoulière, j’avais parcouru les ruines, analysé la terre des champs, fait sonder les eaux du Fleuve. Rien n’y faisait. Le constat atroce restait le même. 

Peut être parce que les fieffés connards de ma bande de pilleurs de tombe m’avaient fatigué, j’avais pris la lourde décision de franchir les portes de l'hôpital militaire afin d’aller enquiquiner la seule personne raisonnable ici bas qui, vraisemblablement, se serait bien passer de voir ma tronche.

Avant tout, comprenez bien que les Sages n’ont pas envoyé n’importe qui pour soigner ces énormes bourrins de centuriens. Factuellement, il leur fallait la crème des toubibs de terrain, pas impressionnable, peu loquace, mais diablement efficace avec un bistouri. Et oui, je sais qu’il n’y pas 500 tronches dans tout cet empire de mouflards brailleurs qui pourrait correspondre ! Une jeune prodige prête à disséquer un rein pour observer de ses yeux la culture du gravier. Une druidesse des temps modernes, avec son arsenal qui sauve la vie toujours à portée, assurée de pouvoir vous le caler au chaud dans le bide.

Dès qu’elle m’a vu, elle soupira en cachant du mieux qu’elle put les réserves de calmants pour chevaux et me lança une phrase des plus aguicheuses.

- Pourriez vous avoir la politesse d’aller crever ailleurs, sombre charogne ?

(je précise ici que non, elle n’a jamais été aussi polie avec moi, raison n°1 pour continuer à la faire suer ; mais que voulez vous, il faut bien satisfaire la censure impériale)

- Avec 2 sucres, s’il vous plaît.

J’imagine que sa longue expérience des zones de conflits et des emmerdeurs de première l’a mis immédiatement sur la voie du dialogue.

- Damian … Vous avez du boulot, moi je viens de finir le mien. Avec tout le respect du monde, si cela vous sied, allez voir ailleurs, de grâce.

- Où est mon pote Joseph ?

- Reparti il y a une heure. Il a pris le temps de me remercier en me donnant cette boite de thé hors de prix, puis a sauté dans un camion. Vous le trouverez peut être accidenté à un kilomètre au nord : c’est sa seconde qui conduisait.

Je pris le temps de pousser la chaise d'auscultation avant de m’avancer pour préparer une théière. Pour deux. Sans un mot.

Elle me regarda avec surprise.

- Vous êtes vexé parce que le commandeur est parti sans vous saluer ? Réellement ?

- Non.

Pendant que la boisson infusait, je m’effondrai sur une chaise et lâchait un soupir de désespoir.

- Je ne sais pas pourquoi le Trio m’a envoyé dans ce trou à rats.

Elle sembla se détendre un instant.

- Pas un gramme de cuivre, pas un gramme de fer. Je suis censé me sacrifier pour la bonté des Premières. Mais quelle ressource puis-je trouver dans cette région morte ? Même les débiles de la Cour de l’Empereur savent que seuls les Centuriens auraient pu être une source de guerre.

- Vous abandonnez ? Vraiment ? Cette région regorge d’argent. Il suffit de fouiller la rivière.

- Pour déclencher une émeute ? Une révolte des croquants ? Eke, je suis un connard, un fantassin du capitalisme sauvage, une mule de l’infanterie. Mais pas une merde sans discernement.

- Alors vous saurez que ces cons de fleuviens refusent l’actuelle “victoire” imposée par la troupe de votre ami et du Triumvirat ?

- Mais on en branle de ces conneries ?!

Elle fit mine d’être choquée.

 

 

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