Agora
Des histoires de Seuls
De Malike — 3 août 2019 à 12h38
L'interprète (2/2)
Signaler Tag (4)

Elle se fit réveiller à seize heures pour prendre le temps de se préparer et s’arranger du mieux qu’elle pouvait. Elle renonça vite à vêtir autre chose que sa tenue habituelle, mais elle put se débarbouiller et se sentait plus fraîche lorsqu’elle arriva sur le perron des appartements de Folkerstein. On lui ouvrit à peine quelques secondes après qu’elle ait frappé.

Le garçon qu’elle avait face à elle ne correspondait pas à l’image qu’elle s’était faite en parcourant sa missive. La tenue chic exceptée, à laquelle elle s’était attendue en écoutant la description de Folkerstein et en lisant sa lettre, il avait une expression relativement douce, pour un septuagénaire limbique. Ses cheveux étaient longs et bruns, soigneusement coiffés, ses yeux noirs donnaient davantage de paix à son visage jeune, et surtout, les cicatrices d’engelures, au niveau de ses joues et sur le contour de ses lèvres, faisaient tache sur le tableau de son imagination.

Il lui sourit, l’air sincèrement contrit :

- Bonsoir, dame Isaure. Entrez, je vous prie.

Il lui offrit le bras, qu’elle accepta par politesse. Malgré son accent, il semblait très bien maîtriser le français.

Son appartement était propre, rangé, plutôt simple. Il lui désigna un fauteuil sur lequel elle s’installa, et elle prit la tasse proposée avec un remerciement.

- Je ne savais pas quelle variété vous plairait, l’avertit-il, alors je vous ai laissé le choix ici.

- Vigilant, s’amusa-t-elle.

Il eut un léger rire d’excuse, avant de reprendre, l’air préoccupé :

- Le voyage s’est-il bien passé ?

- Très bien, je vous remercie.

- Je m’excuse de vous… comment dirais-je… prendre au collet de cette façon. Nos Sages, le seigneur les protège, ont insisté sur l’importance de notre entretien, mais enfin… Vous devez être épuisée.

- Oh, non, ça peut aller, pour être honnête. J’ai eu le temps de me reposer. Les Magisters sont plus endurants que vous autres péons sédentaires.

Elle avait forcé le mépris de sa voix pour assurer qu’elle plaisantait, mais fut tout de même soulagée de le voir rire sincèrement. Trop fatiguée pour tenir sa langue et pour poursuivre une discussion à quatre épingles ; elle le regarda avec satisfaction tandis qu’il souriait, yeux baissés, lui offrant un biscuit qu’elle accepta :

- J’admire votre ténacité. La condition ne doit pas être facile ?

Isaure se surprit à lui raconter, profitant de son oreille attentive et de ses questions pertinentes, plusieurs petites choses anodines. Folkerstein savait y faire pour mener une discussion et relancer les sujets ; à vrai dire, la soirée qu’elle appréhendait s’attarda de façon plaisante, et lorsqu’elle s’appuyait contre le dossier du fauteuil, pour regarder l’allemand aller leur chercher d’autres choses à manger ou un livre qu’il évoquait, elle trouvait quelque chose de soulageant à être là.

Le voyage devait avoir joué sur ses nerfs, ou duré trop longtemps. C’est d’elle-même qu’elle se mit à porter la main à ses cheveux, regardant l’aristocrate avec une soudaine attention. C’était quelque chose dans cette intimité, dans cette facilité avec laquelle ils s’étaient mis à discuter, dans la façon amusante de Folkerstein d’être seulement poli, prévenant au possible (« gentleman », comme il l’avait évoqué à une ou deux reprises). Elle commença à glisser dans leur discussion quelques petites formules ambiguës, qu’elle s’amusa de lui voir passer tout à fait au-dessus. Elle osa des questions plus risquées, auxquelles il répondit avec politesse ; elle trouva enfin, au bout d’un moment, le moyen de lui demander ce qu’elle voulait, au détour d’une conversation sur la distance avec les proches :

- Et vous, Folkerstein, y a-t-il quelqu’un qui vous manquera, lorsque nous aurons fait voile ?

- Oh, bien entendu, sourit-il. Vous avez déjà rencontré Thomas, l’un de mes amis, et naturellement, la baronne Caelum. Sophie Tellier, également…

Elle s’était déjà arrêté sur le nom de Caelum. Il l’avait évoquée plusieurs fois, toujours avec ce sourire sincère, mais il y avait quelque chose dans son regard qui ne la trompait pas.

- Vous trichez, Folkerstein, s’amusa-t-elle. Nous parlions d’amourettes, pas d’amis.

Il rit doucement, ingénu malgré son rosissement embarrassé :

- Malheureusement, aucune amourette, chère amie.

- « Malheureusement », dites-vous ? releva-t-elle, les yeux plissés.

Il resta quelques secondes abasourdi, avant de secouer la tête, réprimant un sourire :

- Seigneur… Je manque cruellement de subtilité, n’est-ce pas ?

- Je dirais que votre subtilité est convenable, le taquina-t-elle. Laissez-moi deviner, Caelum ?

Évidemment, que c’était elle. La réaction de Folkerstein fut suffisamment éloquente. Elle le rassura d’un geste, put enfin l’entendre un peu parler de sa belle. Jusqu’à la façon dont l’amour qu’il avait pour elle se manifestait sur lui – quelque chose de sincère, de simple.

Commentaires
Chargement des commentaires...