Le ciel était constellé d'étoiles, ce soir-là.

Cela faisait deux semaines que nous nous entrainions chaque jour sans répits, en prenant à peine le temps de nous nourrir ou de nous reposer. L'entraînement était terminé. Le lendemain, nous devions partir pour le Royaume du Nord, dans le but de proposer une alliance à son souverain pour vaincre les Dernières Familles. Nous nous octroyions donc une dernière nuit de repos avant le grand départ. Étant trop exténués après l'entraînement pour retourner au palais, nous avions décidé de dormir dans la plaine, près d'un bosquet.

Alice avait enfin réussi à fermer l'œil. Elle dormait paisiblement sur Astaroth, les jambes étendues, les bras croisés sur le ventre et le gigantesque Roi des Loups en guise de repose-tête. Cela ne semblait d'ailleurs pas déranger ce dernier, lui aussi dormant profondément. Dans son sommeil, le visage de la jeune mercenaire arborait une expression paisible, presque enfantine. Ces derniers jours, elle semblait se détendre en nous côtoyant, moi et les autres membres de l'Invictus Squad. Elle avait même fini par se montrer très sympathique, au bout du compte.

Quant à moi, j'étais trop énervé à l'idée du départ pour ne serait-ce que m'assoupir. Alors je restais éveillé, à fixer les étoiles, tout en me questionnant sur ce qui avait bien pu arriver à Peter. Les éclaireurs des Premières Familles juraient l'avoir aperçu en compagnie de Shadow, son ancien général, au pied du Monolithe. Et Vælius, d'après mon témoignage, était persuadé que le jeune homme était un Ange Noir, une créature semi-divine surpuissante appartenant à la 14e Famille. Il me maudissait d'ailleurs de l'avoir laissé filer en le tuant d'un simple rayon, lors de la Bataille de Néosalem, plutôt que de l'achever avec Yrlac. Mais quelque chose m'en avait empêché. Malgré la haine que je lui portais, et pour une raison que j'ignorais, je m'étais senti incapable de lui ôter définitivement la vie.

La nuit était paisible. Il était encore très tôt, mais j'appréhendais déjà l'aube qui pointerait ses premières lueurs à l'horizon d'ici quelques heures. Je ne souhaitais pas partir. Mais je me devais d'accomplir cette mission si je voulais obtenir l'autorisation d'explorer la base de Faust et d'éclaircir mon obscur passé.

Astaroth remua légèrement pour changer de position, ce qui réveilla Alice.

"J'ai dormi ?

-Comme un loir.

-Et toi ?

-Pas réussi. Trop nerveux.

-Tu sais, il n'y a pas de raison que cette mission se déroule mal. Dans le pire des cas, les techniques que je t'ai apprises ne serviront pas à rien."

Je ne répondis pas. Je n'avais pas vraiment peur du danger qui nous attendait là-bas. À vrai dire je n'avais rien à craindre. En temps qu'Imp, je revenais forcément après chacune de mes morts. Je n'appréciais juste pas la mission. Le caractère diplomatique de celle-ci et le fait qu'elle nous avait été imposée par Vælius m'énervaient profondément. Il se servait de nous. Pouvions-nous seulement avoir confiance en cet avorton ?

Sur un coup de tête, je me levai. J'avais besoin de bouger.

"Je vais faire un tour. À tout à l'heure.

-Attends, je t'accompagne."

Nous partîmes donc nous promener dans la plaine, en laissant Astaroth plongé dans les bras de Morphée.

La nuit était claire, ce soir-là. Les étoiles constellaient le ciel telles des milliers de petits diamants incrustés dans du bois d'ébène. La lune éclairait la calme plaine de son éclat argenté. Nous marchions lentement, silencieusement, comme pour ne pas réveiller les arbres qui dormaient au sein des bosquets.

Une question me traversa alors l'esprit.

"Dis moi, Alice. Comment es-tu morte ?"

Cette question sembla troubler la jeune mercenaire, qui fut parcourue d'un léger frisson et porta la main à son avant-bras gauche.

"Je t'en parlerai une autre fois, veux-tu ?"

Nous marchâmes jusqu'à ce que l'aube pointe ses premières lueurs rosées à l'horizon, puis nous rejoignîmes Astaroth avant de repartir vers la ville-forte.

Néosalem était en pleine agitation. Çà et là, soldats et marchands se pressaient pour préparer notre convoi. Dans ce tumulte incessant, nous regagnâmes le château, dans l'idée d'achever la préparation de nos bagages.

"Les voilà !" s'écria Anouk en nous apercevant. "Nous désespérions de vous voir revenir, très chers."

Elle portait une tenue des Éclaireurs de la 6e Famille, qui lui avait sans doute été donnée par Vælius pour le voyage, et tenait dans les bras d'épaisses fourrures, qu'elle déposa dans une des voitures blindées entassées dans la cour du château.

"Désolé, on a dormi à la belle étoile. L'entraînement nous avait complètement épuisé.

-C'est pour la bonne cause ! Bon. Dépêchez vous de boucler vos bagages, on part dans moins d'une heure.

-Où est Véga ?

-Il s'affaire sur sa nouvelle armure. Il a profité des dernières semaines avant le départ pour s'en recréer une nouvelle, plus performante et résistante, à ses propres dires."

Effectivement. Quelques minutes plus tard, le jeune homme se pointa avec une splendide armure noire, entrecoupée d'interstices d'où émanait une curieuse lumière orangée.

"Je vous présente la Véga's Armor Mark II !

-Magnifique. Mais le nom est à revoir.

-Roooh ça va ! T'as qu'à trouver mieux, si tu y arrives. Non mais !"

Une demi-heure plus tard, après avoir attelés nos bagages, nous gagnâmes tous l'arène, en compagnie des quelques autres milliers de villageois. Vælius, assit sur son habituel trône d'or dans la tribune impériale, expliquait à toutes et à tous les modalités et objectifs du voyage. Cela fait, il nous souhaita bonne chance, et nous rejoignîmes le convoi.

Accompagnés de dix voitures blindées et d'une trentaine de soldats de la 5e Famille (dont Achille, chargé par Vælius de superviser la mission), nous partîmes en direction du Nord, et le convoi ne tarda pas à quitter la Vallée.

En fixant la direction du convoi depuis la voiture de tête, Achille lança, non sans un rire sarcastique:

"Il n'y a plus qu'à espérer que nous revenions tous indemnes."