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Des histoires de Seuls
De Invictus — 22 novembre 2017 à 14h46
Vic 5: La Vallée Enneigée.
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"Achille, ici Vic. On a trouvé un passage, à 10 km au Nord-Ouest de votre position. Mais il est très étroit. J'ai bien peur qu'il ne faille abandonner les voitures.


- Les autres équipes ont fait chou blanc. Ne partez surtout pas en avant. On va vous rejoindre."


Cela faisait déjà une semaine que nous avions quitté Néosalem. N'ayant pas prévu de navire, nous avions dû contourner la Mer Baltique pour atteindre la Norvège, emplacement supposé du Royaume du Nord. Cela nous avait fait perdre un temps fou. Mais à présent, nous arrivions à notre destination. La capitale du Royaume de Nord était protégée par une chaîne de pics enneigés, et Achille avait dû former plusieurs équipes pour tenter de trouver un passage. Anouk et moi-même avions été envoyés vers le Nord-Ouest du camp que nous avions établi, et il semblait que nous étions les seuls à avoir déniché un passage à travers le col, après plusieurs heures de marche.


"Tu as l'air anxieux depuis le début du voyage. Quelque chose te préoccupe ?


- Je n'arrête pas de penser à Peter. J'ai beau fouiller ma mémoire, je ne me souviens absolument pas l'avoir rencontré avant ma mort. Et pourtant, sa présence me trouble d'un façon incompréhensible. Même en le rencontrant, j'ai eu l'impression de retrouver un vieil ami, comme si nous nous étions connus dans une vie antérieure.


- Mais tu ne m'avais pas parlé de Lachenal, le gamin que tu avais manipulé pour qu'il prenne la direction du projet Gaïa au sein des Limbes ? Tout concorde, pourtant ! Tu disais qu'il lui ressemblait, qu'il était doté d'une grande intelligence, et que de plus Faust lui-même avait eu une réaction troublante quand tu avais évoqué son nom !


- Non. Il subsiste un problème temporel. Faust est beaucoup plus âgé que Lachenal ne l'était à l'époque, alors que je n'ai vieilli que d'une paire d'années. De plus, Lachenal avait une façon de penser et un tempérament radicalement différents de ceux de Faust. Quant à la ressemblance physique, je ne puis être sûr de rien. Ma mémoire est brouillée et mes souvenirs sont encore trop flous.


- Vous êtes sans doute morts à des âges différents, non ?


- Sauf qu'en tant que directeur du projet dans les Limbes, il y a logiquement été envoyé bien avant moi. Et cette déduction concorde avec mes souvenirs. Je suis certain d'être mort après Lachenal.


 - Mais si Faust n'est pas Lachenal, pourquoi aurait-il réagit d'une manière aussi troublante à l'évocation de son nom ? Et comment se serait-il retrouvé à la tête de la base ?


- J'ai une hypothèse qui me parcourt la tête depuis quelques temps et qui semble concorder. Faust peut ne jamais avoir fait partie du projet Gaïa. Ou en être un membre peu éminent. Un sous-fifre. Une fois dans les Limbes, il assassine Lachenal et prend sa place, tout en prenant soin d'annihiler ou de remplacer les souvenirs des autres cobayes, en utilisant le matériel de Gaïa. Les reformater, comme il l'a fait pour faire de moi son esclave. Quant à la réaction, elle peut être due aux remords par rapport à son crime ainsi qu'à une certaine instabilité mentale.


- C'est vrai que c'est une hypothèse à prendre en compte.


- Je sais. Et c'est pourquoi je tiens tant à explorer la base. J'y trouverai sans doute des archives qui me prouveraient que Faust appartenait ou non à Gaïa. Mais à vrai dire, tout cela est bien le cadet de mes soucis. Je me suis posé plusieurs questions, il y a peu, et je n'ai su répondre à aucune d'entre elles. Pourquoi ai-je été retrouvé inanimé hors de la base par les Éclaireurs ? Pourquoi Faust a-t-il provoqué la Révolution de Néosalem ? Pourquoi a-t-il négligé ma surveillance lorsque j'étais son esclave ? Pourquoi refuse-t-il de m'éliminer dès qu'il en a l'occasion ? Pourquoi s'est-il laissé si facilement vaincre lors de la Bataille de Néosalem ? Et enfin pourquoi a-t-il finalement rejoint de son plein gré les Dernières Familles, sachant pertinemment qu'il serait forcé de détruire les Limbes, et lui avec ? Je ne peux pas croire qu'un esprit aussi brillant que le sien ait agit au hasard ou ait commis inconsciemment toutes ces erreurs. Il a quelque chose derrière la tête, j'en suis persuadé. Et ça ne présage rien de bon."


Anouk demeura silencieuse, elle aussi prise par ces réflexions manifestement sans réponse.


Quelques heures passèrent dans le silence le plus total avant que les autres ne nous rejoignent enfin, Alice et Achille en tête.


"Voilà vos sacs. Nous avons pris le strict minimum. Nous retrouverons les voitures pour le retour. En attendant il va falloir se contenter de quelques rations de nourriture et quelques fourrures.


- Et des armes ?


- On a Véga, Anouk, Alice et toi. Quelques fusils suffiront amplement."


Nous nous engouffrâmes donc sans tarder dans l'étroit passage à travers le col. Au bout d'une dizaine de minutes de marche à travers les pics, nous rejoignîmes enfin une petite vallée recouverte de neige.


Un petit chemin escarpé longeait le flanc des montagnes, nous permettant de rejoindre la plaine. Au centre de celle-ci, sur une sorte d'esplanade, on pouvait apercevoir une grande cité entièrement faite d'une curieuse pierre blanche, et entourée de bosquets de sapin. Ce fabuleux paysage était entièrement recouvert d'une neige d'un blanc immaculé, donnant une allure assez fantasmagorique à l'endroit. La neige continuait d'ailleurs de tomber en légers flocons.


Alors que nous nous apprêtions à rejoindre la plaine, un de nos soldats s'effondra dans un cri de douleur. Une flèche s'était plantée dans son flanc droit, et d'autres ne tardèrent pas à suivre.


"Tous à couvert !" hurla Achille.


Je courus m'abriter derrière un rocher situé à proximité de la brèche par laquelle nous étions arrivés, immédiatement suivi d'Alice.


"Tu te souviens de tout ce que je t'ai appris ? Il semblerait que tu aies à t'en servir plus tôt que prévu.


- Achille a l'air sauf." dis-je en l'apercevant plaqué contre une des parois de la brèche. "Attendons ses ordres."


Ce dernier nous fit signe qu'il avait localisé l'emplacement des assaillants. Ils étaient une dizaine, des archers et des épéistes, embusqués derrière les rochers qui longeaient la pente. Le Roi du Nord connaissait sans doute l'existence de cette brèche, et il avait dû demander à ces hommes de la surveiller pour se protéger de toute tentative d'assaut.


"Bon. Assez joué.


- Évite de les abîmer. Je te rappelle qu'on a des négociations à effectuer avec leur boss.


- On verra. Allons-y."


En disant cela, nous nous levâmes et nous dévalâmes la pente en courant, tout en déviant les flèches avec nos épées. Puis je concentrai toute mon énergie dans mon poing gauche et je détruisis un des rochers qui les protégeaient. Les soldats furent saisis d'effroi et tentèrent de fuir, mais Alice se précipita pour les stopper et ne tarda pas à les mettre hors d'état de nuire.


"Tu aurais au moins pu m'en laisser quelques-uns !


-Non. Je minimise les dégâts. Pas question qu'on foire les négociations uniquement pour assouvir tes pulsions meurtrières.


-Rabat-joie !"


Les autres nous rejoignirent aussitôt. Après nous avoir brièvement félicités, Achille s'adressa aux prisonniers, dans une langue qui m'était inconnue.


"Je leur ai dit de nous conduire à leur roi, en échange de quoi je leur rendrai leur liberté.


-Et ils ont accepté ?


-Ils sont fiers, mais pas fous.


-Je prends ça pour un oui."


Nous suivîmes donc les soldats, et nous gagnâmes rapidement la cité.


La cité était située sur une immense esplanade entourée de vide, et l'on ne pouvait y accéder que via un pont-levis. Le capitaine des soldats prisonniers hurla quelques ordres incompréhensibles au guet et celui-ci fit descendre le pont-levis. Achille affichait un air méfiant. Nulle doute qu'il était prêt à massacrer tous les prisonniers si un seul d'entre eux s'avisait de donner l'alerte.


Une prise d'otage. Mal parti pour des négociations.

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