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Des histoires de Seuls
De Jules Varensta — 22 juin 2018 à 23h50
ENJOY THE CRUISE : chapitre 4
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Pendant que Sybille s'entretenait avec le gouverneur, David restait dans l'antichambre, assis avec deux des soldats qui l'avaient trouvé le matin même. 

Ils se trouvaient dans un assemblage d'escaliers, de plates-formes, de tentures blanches et de boiseries fines remplissant la cour sud de la Ribat de Monastir. 

Le silence n'était rompu que par un vent léger à quelques mètres au-dessus de leurs têtes et une autre rumeur régulière, peu définissable, vers l'est.  

On aurait cru se trouver dans un gigantesque étendoir à linge au milieu d'une citadelle. 

 

En face de lui était affichée une carte de la région avec le curieux nom Africa Proconsularis, couvrant le territoire entre Constantine et la grande Syrte, la côte longée de près par des routes et voies ferrées et constellée de points aux noms mystérieux: Tripoli, Utique, Bizerte, Tabraca, Leptis Magna et Minor, Hammamet (l'avant poste en était proche), Sicca, Sirta, Carthage,

Et formant un ruban vert entre les étendues ocres et indigo.  

 

Elle ressortit finalement, l'air confiant et rassuré, suivie par le gouverneur local, un VI au teint bronzé et cheveux teints en noir, arborant une toge dont le blanc n'était rompu que par une poignée de broches, camées et médailles représentant les villes de sa juridiction. 

 

- Alors?

- bonnes nouvelles, mon jeune ami, j'ai été convaincu. Pour cause de... Circonstances peu communes, vous serez exempté des épreuves habituelles et autorisé à rester avec Dame Sibylle ici présente aussi longtemps qu'il vous sera nécessaire."

 

Les formalités se cantonnèrent au minimum, pour un cas si rare:

Une simple signature de sceau sur un formulaire d'adoption, une poignée de main (David ne se rendrait compte que bien plus tard que c'était sa première), bonne chance, et la Magister sicilienne et son mystérieux protégé prirent congé, laissant le gouverneur pensif pendant plusieurs minutes. 

 

Ils se dirigèrent vers la cour nord de l'édifice, quittant l'ombre d'un phare décoré d'une manière fantaisiste prétendument carthaginoise, longeant des hangars à bateaux, traversant un caprice architectural ressemblant vaguement à un cirque romain et gagnèrent enfin une vaste rampe à l'ombre d'une copie du temple de Jérusalem.

Le souffle régulier précédemment entendu se faisait plus fort au delà de la plate forme. 

 

"- c'est quoi ce bruit?

- tu vas bientôt le savoir... "

 

S'arrêtant au rempart donnant sur l'est, le regard embrassait une plaine liquide, ridée, rampant jusqu'aux bases des murs, turquoise virant au bleu-gris avec la distance, s'étendant à perte de vue sous la nappe distendue d'azur, et dont la brise amenait une vague odeur de sel.  

David, qui s'était éveillé le matin même au fond d'une source chaude, posait ses yeux sur la mer pour la première fois. 

 

"- la voilà, l'Immensité bleue.  Elle entoure tous les lieux que l'on peut arpenter."

- et on est coincé ici? On ne peut pas la traverser?

-bien sûr que si.  Pour te dire la vérité... J'avais un voyage de prévu pour demain... Et puis on m'a parlé de ton... Apparition. 

- alors j'ai dérangé ce que tu voulais faire?

- ne t'inquiète pas, il reste un peu de temps avant le départ. 

- combien?

- jusqu'à demain, 17h, et c'est à Oran, à plusieurs centaines de kilomètres d'ici. 

- comment tu pourrais aller si loin et si vite?

- j'avait un billet de train pour demain 8h, mais peut-être faudra t-il l'annuler... Ou en prendre un autre. Qu'en penses-tu?

- je sais pas encore. 

...Après tout je sais même pas ce qu'est un train."

 

Il y eu un léger rire. 

 

"-je t'expliquerai.  

Mais pour l'heure il est temps de rentrer à Carthage."

 

Tout en discutant ils étaient descendus de la Ribat, tout comme le soleil vers l'horizon, puis regagnèrent la voiture et prirent la route vers le nord, suivis par un fourgon de cinq hommes qui regagnaient la cité punique.  

 

Le soir tombait quand ils passèrent le triple mur de Carthage.

Si l'avant poste romain était charmant et limite pastoral bien qu'artificiel, 

cette ville brune, pourpre et ivoire, phénicienne, puis romaine, puis musulmane, puis romantique était plus mystérieuse, mais aussi menaçante et tout y était démesuré. 

Et hétéroclite par dessus le marché. 

L'île de l'arsenal donnant sur les deux ports, la colline de Byrsa couverte par les esplanades, temples et basiliques, les parcs à cyprès et éléphants, les arcades du cirque, de l'amphithéâtre et de l'aqueduc colossal, 

tout cela contrastait de manière presque hilarante avec les petites silhouettes en toge et habit renaissance, les statues barbaresques, pseudo-assyriennes, ailées, cornues et acérées rajoutées au XIXème siècle ou les tramways électriques couverts de fanarts druillesques.   

 

Elle sortit les sandwichs pendant qu'ils arpentaient la plage sous le rempart percé d'arcs de triomphes donnant sur le golfe de Tunis et un ciel virant au mauve. 

Après ce dîner modeste en revanche une tentative de baignade dût en rester aux chevilles, car l'eau avait fraichi à une vitesse peu commune. 

Parcourant les dernières centaines de mètres vers la villa que Sybille occupait pendant ce séjour, David songea que l'idée de traverser une étendue aussi vaste, salée et froide, soudain couronnée par un disque argenté, lui serait étrangement intimidante. 

Ignorant encore la place de l'océan comme berceau de la vie,

il le voyait alors comme symbole d'un concept vague et malaisé, contraire à toute vie, pour lequel il n'avait pas encore de nom. 

 

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