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Des histoires de Seuls
De Abby_From_The_Abyss — 18 octobre 2018 à 23h20
Les vermines de Néosalem (3/3 : la Fuite) 
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Le lendemain était vite arrivé. Le soir aussi. Les deux filles avaient passé la journée à préparer leur évasion. Elles avaient cousu des capes avec de vieilles couvertures aux couleurs sombres et leurs baluchons dansaient dans leurs dos. À l'abri, elles avaient fait mine de passer une journée normale. Mais une fois la nuit tombée, et après s'être assurées que les autres dormaient, elles avaient silencieusement enjambé leurs camarades et s'étaient faufilées dehors.

C'était là le plus compliqué : il fallait sortir de la ville en évitant les gardes et en ne faisant aucun bruit pour ne pas réveiller les civils. Les vermines avaient beau être exclues de la société, elles n'en restaient pas moins des esclaves de 8ème. Par conséquent, hors de question pour eux de partir sans autorisation.

Nora et Myriam se faufilaient alors dans les rues, frôlant les murs et se cachant dès que les bruits de pas des soldats se faisaient retentir.

Mais malgré cette prudence et cette ambiance nocturne oppressante, Nora ne put empêcher son esprit de divaguer. Son regard se perdait souvent dans le vide, ses pas ralentissaient voire s'arrêtaient et il fallait que Myriam prononce son nom pour qu'elle revienne à la réalité. Et encore, il ne fallait pas longtemps avant que ses pensées ne repartent. Des souvenirs lui revenaient. Ils n'étaient pas agréables et la faisaient le plus souvent souffrir.

Soudain, un craquement. Les deux filles se figèrent sur place, inspectant les alentours de leurs regards angoissés.

 

"Ça devait être un animal" murmura Myriam quand elle n'aperçut rien

"Attends..." Nora continua de chercher. Les ruelles sur les côtés , les fenêtres, les tonneaux, les toits, les- "Oh.. Oh non"

 

Sur le toit du bâtiment juste à leur gauche, plusieurs silhouettes se tenaient, droites et menaçantes. Il ne fallut pas une éternité à Nora pour les reconnaître.

 

"Cours !!" ordonna-t-elle en s'élançant dans la rue.

 

Les silhouettes glissèrent de leurs cachettes et se mirent à poursuivre les deux filles. "Tout mais pas ça!" pensa Nora "N'importe qui sauf eux !!". Myriam, effrayée, se mit à pleurer. Sa longue tresse volait au vent derrière elle et les poursuivants étaient rapides.

L'un d'eux tendit le bras et s'empara des cheveux de la jeune fille, les tirant en arrière pour la faire tomber. Nora voulut l'aider mais une autre la plaqua contre le mur, bloquant sa seule main valide avec une poigne de fer. Elle regarda, impuissante, son adversaire donner silencieusement l'ordre à ses camarades d'emmener Myriam dans une impasse, à proximité. Cela fait, elle se retourna vers la jeune blonde.

 

"Tu essaies de fuir, à présent ?" dit-elle d'une voix sombre "Tu ne fais qu'aggraver ton cas, tu sais ?"

"Lâche moi, Pénélope !" grogna Nora entre ses dents "Je croyais que t'en avais plus rien à faire de moi !"

"C'était le cas" il n'y avait aucune intonation dans les paroles de l'assassin "Avant. Mais j'ai appris de certaines sources que tu avais prévu de t'échapper de Néosalem. Ça ne faisait pas partie de notre petit marché, très chère."

"Ton "petit marché" ne stipulait pas non plus que j'allais me retrouver à la rue ! "

" Ça, tu ne peux t'en prendre qu'à toi même" un mouvement de tête renversa le capuchon, révélant les yeux pâles mais perçants et le visage criblé de tâches de Vitiligo de Pénélope "Tu as toujours été comme ça, Nolwënn. Inconsciente et tout simplement agaçante. Et dire que tu te demandes encore pourquoi tu as fini en exil"

 

"Nolwënn". Le mot eut un effet de foreuse dans le crâne de Nora. Cela faisait des décennies qu'elle n'avait pas entendu son prénom. Les voix de tous ceux l'ayant appelée comme ça résonnèrent dans sa tête, comme dix milles cloches sonnant sa fin.

 

"Tu souffres ?" demanda Pénélope de façon monotone en voyant Nora grincer des dents "Tu es faible. J'espère que tu en es consciente"

"Qu'est-ce que tu me veux ? Qu'est-ce que tu vas faire de Myriam ?"

"Ta copine ? Je ne sais pas. Je n'ai aucun ordre contre elle. Mais elle a tout de même désobéi aux lois des premières familles. Je devrais donc la livrer aux autorités. Quant à toi, tu vas venir avec moi. Ta première correction n'aura clairement pas été suffisante"

 

Tout à coup, des cris retentirent dans l'impasse où Myriam avait été emmenée. Nora se mit à paniquer mais se calma instantanément quand elle vit son amie apparaître, couteau à la main et les cheveux coupés jusqu'aux épaules. Mais oui ! Elle avait coupé sa tresse pour échapper à ses assaillants !

Myriam courut vers Pénélope et la renversa en se jetant sur elle. Elle voulut lui asséner un coup de couteau mais Nora l'en empêcha en la relevant.

 

"On a pas le temps pour ça ! Vite avant que quelqu'un n'appelle la garde !"

 

Elles reprirent leur course, direction la sortie ! Avant de tourner à une intersection, Nora osa se retourner. Le groupe n'avait même pas essayé de les suivre. Pénélope lui adressait un regard empli de rage et de menaces. La blonde ne s'attarda pas plus et reprit sa route.

 

Elles réussirent à contourner les soldats et se retrouvèrent dans la nature sauvage, à plusieurs centaines de mètres de Néosalem. Là seulement, les deux filles s'autorisèrent un moment de répit et s'assirent au pied d'un arbre dont les racines allaient et venaient dans et hors du sol. Les filles respiraient vite, épuisées par ce qu'elles venaient de vivre.

 

"Bon sang, j'ai vraiment cru que c'était la fin !" se lamenta Myriam "Que nous voulaient-ils ces fous ?!"

"Aucune idée. Désolée pour tes cheveux"

 

Nora voulait à tout prix éviter le sujet. Myriam n'avait pas besoin de savoir quoi que ce soit sur eux. Du moins, pour l'instant.

La plus jeune grimaça en tortillant une des pauvres mèches mal coupées. Alors, son regard s'illumina. Elle s'empara de son baluchon et en sortit deux rubans turquoises. Dans un geste quasi expert, elle sépara sa tignasse en deux, enroula chaque moitié sur elle même avant de les attacher avec les rubans. Elle avait maintenant deux petits chignons noirs de chaque côté de sa tête, juste en dessous des oreilles.

 

"C'est comment ?"

"Superbe ! Ça te va très bien !"

 

Nora était sincère mais elle n'avait pas vraiment fait attention. Toutes ses pensées étaient désormais tournées vers Pénélope. Elle ne l'avait plus vue depuis si longtemps. Et pourtant, leur dernière rencontre, avant celle-ci, était aussi fraîche dans sa mémoire que l'incident qui venait de se produire.

"Après tout ce que j'ai fait pour toi, tu oses me trahir ?!"

"Ce n'est pas une trahison ! Tu as mal compris, Pénélope, je n'avais pas le choix !"

"Tais-toi, ingrate ! Va-t-en ! Dégage ! Je ne veux plus te voir ici !"

"Tu ne peux pas te débarrasser de moi comme ça !"

"Oh que si ! Ta condamnation aura lieu demain soir ! Dès que le soleil touchera l'horizon ! Tu vas regretter d'avoir insulté notre ordre !"

 

"Nora, ça va ?"

"Oui Myriam. Tout va bien..."

 

Le silence régna. Au loin, le jour commençait à se lever. Et les deux amies étaient fatiguées.

 

"Que fait-on maintenant ?" demanda Myriam en appuyant son dos contre le tronc de l'arbre.

"Je ne sais pas." le regard gris de Nora se perdit dans le vide "On cherche un abri le temps de se reposer. Puis on marchera jusqu'à trouver une autre cachette. Et encore, et encore..."

"Et ces enfants qui nous ont attaquées ? Ils vont encore nous poursuivre !"

"Dis pas de bêtises. Ça n'arrivera pas" mais même Nora n'y croyait pas.

 

Elle savait que Pénélope n'abandonnerait pas ainsi. Elle savait que, après des décennies de souffrance sourde, elle était de retour. Elle savait qu'elle allait enfin lui faire payer ses actes. Et elle savait qu'elle allait s'en prendre à Myriam aussi.

Myriam, de son côté, avait peur. Pas de leur nouvelle vie de vagabondes. Mais pour Nora. Depuis leur rencontre avec ces étranges enfants, son regard s'était assombri. Un voile d'inquiétude la recouvrait. Ils en avaient après Nora. Ils allaient probablement essayer de lui faire du mal. 

Myriam le refusa.

Jusqu'à maintenant, elle avait toujours montré une facette vulnérable d'elle-même. Celle qui est naïve, un peu sotte. Mais elle était aussi Myriam, celle qui volait, celle qui prenait toujours un couteau avec elle, celle qui n'avait pas eu peur de frapper ses assaillants à coups de pierre. Elle avait volontairement caché tout ça à son amie. Mais maintenant que, à tout instant, quelqu'un pourrait la blesser, elle n'allait plus se cacher.

Tandis que Nora lui dit de se reposer un peu (elle montera la garde), un rictus se dessine sur ses lèvres.

Oh que non, elle n'allait plus se cacher.

La main trempée de rosée du matin, elle essuya le chiffre peint sur son front. Au loin, le soleil se levait et illuminait la plaine.

C'était un nouveau départ pour Myriam et Nora. 

"Nora..."  pensa Nolwënn en riant "Je n'avais vraiment rien de plus original ?" 

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